Chapitre 2

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  A dix ans, avant que la bombe n'explose, la plupart des enfants allaient à l'école, mais l'école avait dû être reconstruite et les professeurs étaient demandés ailleurs, car tous les « paysans » étaient appelés un peu partout par la première reine de la lignée pour pouvoir rebâtir une société digne de ce nom.

Viska Sharpe ne faisait pas partie de la noblesse – les familles s'étant battue pour le trône –, elle n'avait aucun privilège, mais elle voyait chaque jour ses parents se tuer à la tâche pour offrir à des enfants qui avaient déjà tout ce dont ils avaient besoin, des écoles aux quelles elle n'aurait même pas encore accès. Les tout premiers manuels scolaires qui furent refabriqués, ce furent eux qui les reçurent, tout comme les premiers vêtements, les tout premiers jouets et les tout premiers lits.

Il fallut attendre des années avant que les gens du peuple, comme elle, profitent enfin des fruits de leur labeur. Désormais, quatre-vingt ans après l'explosion de la bombe anti CH, Viska avait enfin un chez elle, mais il avait fallu qu'elle se batte pour l'avoir, car beaucoup encore ne possédaient rien.

Viska détestait attendre, elle détestait ne pas être vue, elle détestait être faible. Elle avait toujours été comme cela, avec un caractère bien affirmé, trop affirmé selon les dires de son père. Elle aimait énormément son père, mais il ne la comprenait pas toujours, il ne comprenait pas que dans cette nouvelle société que les Zohair avaient bâtie, seule la loi du plus fort comptait.

Son père était un homme gentil, attentionné et respectueux des règles. Il l'avait élevé loin de la cruauté du genre humain, essayant toujours de la faire rire dans les moments les plus tragiques. Avec sa mère, une femme douce et généreuse, ils faisaient la paire. Viska se demandait toujours comment ils avaient pu lui donner naissance. Si on ne mentionnait pas son physique, elle ne leur ressemblait en rien.

Elle avait dix ans lorsque sa personnalité bien trempée s'était révélée, lorsque sa vie avait basculé. Un beau jour, elle avait élaboré un plan pour s'enfuir. Elle ne pouvait plus supporter de voir des enfants de son âge à qui tout leur souriait tandis qu'elle dormait dans une tente vide de tout meuble, de tout objet personnel. Au début, elle ignorait où elle devait se rendre pour aider sa famille à se sortir de cette impasse, puis tout lui avait paru limpide. Elle devait rejoindre le seul endroit sur Terre où rien n'était impossible : le palais royal.

Rappelez-vous bien qu'elle n'avait que dix ans, qu'elle était déterminée et pleine de rêves, à cet âge-là on ne pensait pas à mal, alors elle ne comprit pas tout de suite ce que la reine lui demanda de faire en échange d'une place dans son château, tout ce qu'elle voulait, c'était changer de vie. Elle avait demandé à voir la reine en personne, mais on le lui avait refusé, elle n'avait pas insisté et était entrée par effraction. La reine, en la voyant, avait été forcée de constater qu'elle était aussi déterminée que talentueuse pour ce qui était de tromper la vigilance des gardes.

C'était ainsi, qu'à seulement dix ans, Viska s'était retrouvée à devoir s'entraîner pour faire partie de l'armée royale. Lorsque la reine lui avait annoncé qu'en tant que telle, elle et sa famille ne manqueraient plus de rien, elle avait accepté sans réfléchir. A cette époque, elle ignorait qu'elle devrait se battre, tromper et tuer pour gagner de quoi subvenir à ses besoins. Pire, elle ignorait que cela lui plairait en dépit des regards à la fois fiers et mélancoliques que lui lançaient souvent ses parents. Ils ne souhaitaient pas une vie aussi mouvementée pour leur fille, mais Viska aimait trop l'aventure pour se soucier de ce qu'ils pensaient.

Ce jour-là avait débuté comme tant d'autres avant lui. Dans la glace de la salle de bain d'une somptueuse suite – celle d'un escroc qu'elle était chargée de capturer –, elle contemplait son reflet sans émotion. Son apparence, elle l'avait façonnée à la perfection pour attirer l'attention sans révéler sa véritable personnalité, elle ne savait même plus comment elle aimait s'habiller, qui elle était vraiment, seul le combat la définissait. Lèvres teintées de rouge sans être vulgaire, robe moulante hors de prix sur un corps bronzé et musclé, ses cheveux noirs et raides détachés, elle ressemblait à tant d'autres avant elle. C'était là le but de la manœuvre : se faire remarquer tout en restant banale. Elle était belle, certes, mais pas d'une beauté unique.

La bombe anti CHWhere stories live. Discover now