CHAPITRE 13

1.1K 60 8
                                    

AXEL


Pendant qu'Elena et Terry peaufine leur stratégie, la foule les épie. Et nous aussi. À la différence que Cassandre et moi n'échangeons pas un mot, outre le fait de s'affronter du regard. Je ne saurais pas dire ce qui me génère autant d'agacement dans l'attitude de cette fille mais c'est physique : dès que je la vois, j'ai envie de lever les yeux au ciel. Peut-être est-ce son aura de petite bourse friquée qui n'a jamais eu le moindre souci dans la vie. Grande baraque, ameublement luxueux, père doyen de l'université de Princeton. Le moins qu'on puisse dire, c'est que nos existences n'ont rien en commun.

— Quand t'auras fini de me mater, tu pourras peut-être me partager la stratégie que tu comptais mettre en place ! me lance-t-elle.

Je ricane.

— Te mater ? Toi ? Il va me falloir un peu plus qu'un verre pour ça. Encore que, je ne suis même pas sûr qu'un coma éthylique suffise à m'anesthésier assez pour t'observer avec envie.

Elle serre les dents. J'aime au moins autant la rendre folle que la détester. La faire réagir à grand renfort de pique est un petit plaisir dont je n'ai pas l'intention de me priver ce soir. Quitte à supporter sa présence, autant joindre l'utile à l'agréable.

Cassandre écarte une boucle de son épaule dans un geste dédaigneux. Il faut reconnaître qu'en dépit de tous les défauts du monde que je peux lui prêter, elle est canon. De sa silhouette désirable aux traits fins de son visage en passant par la délicatesse de ses mains, rien ne dénote. Et je ne parle même pas du bleu profond de ses yeux. Il m'arrive parfois d'accuser un vertige en les croisant.

C'est peut-être ce qui la rend encore plus détestable. Ça et son côté intello. Je ne digère toujours pas le fait que nous ayons été réunis en binôme pour les besoins des cours et ce pour deux raisons. La première : je vis mal le fait d'avoir du retard sur une matière alors que j'excelle dans mon cursus. La seconde : l'idée même de devoir la supporter des heures entières dans un cadre privé m'agace.

Il y a écrit l'Abbé Pierre sur mon front ?

— Comme on dit, tous les goûts sont dans la nature, rétorque-t-elle. Y a pas de mal à avoir des goûts de merde, ça en laisse davantage pour les autres.

Sa répartie incisive me plaît plus que je veux bien l'admettre. D'ailleurs, je dois même contenir un sourire pour ne pas le lui montrer.

— Je n'ai pas besoin de stratégie, finis-je par répondre en ne relevant pas ses derniers mots.

Elle arque un sourcil.

— Évidemment ! Monsieur est au-dessus de ça.

— Les stratégies, c'est pour les perdants qui refusent de voir la vérité en face. Quand on a du talent, on a besoin de rien d'autre.

Un rire nasal lui échappe. Je croise les bras sur la poitrine.

— Je commence à me dire que c'est toi qui va me faire honte au billard, réplique-t-elle. T'as intérêt d'être à la hauteur de ta prétention, sinon c'est moi qui vais faire de ta vie un enfer.

— Ouuh ! J'ai peur.

— Tout le monde est prêt ? tonne Damian qui s'est subitement improvisé arbitre de l'affrontement.

J'ai l'impression d'être devenu l'attraction de la soirée. Je n'ai jamais vu autant de personnes captivées par les préparatifs d'une partie de billard. Je vide trois gorgées de cocktail histoire d'oublier qui est mon binôme puis je me craque la nuque. Cassandre secoue la tête d'un air désapprobateur, je me fais alors un malin plaisir d'en rajouter pour l'énerver encore plus. Je passe ensuite aux doits, puis au dos.

— Quand t'auras fini de disloquer ton squelette entier, on pourra peut-être s'y mettre ?

— T'en fais pas, je t'ai gardé un os à ronger. Wouf !

Si un regard pouvait tuer, je serais mort sur le coup. Cassandre me tourne le dos pour attraper une queue différente des autres. Si elles sont toutes noire et beige, celle-ci revêt des nuances dorées au lieu de la seconde couleur. Je remarque alors que son prénom est gravé dessus.

Serait-il possible qu'elle soit vraiment doué à ce jeu ? J'ai intérêt de tenir la distance. Pas question de passer pour un con après avoir pris mes grands airs.

Avant que nous commencions, elle s'approche de mon oreille et me glisse :

— Au fait, qu'est-ce que tu as dit à Carmen tout à l'heure pour la vexer ?

— Non.

— Quoi « non » ?

— Je lui ai dit « non ».

— Faut vraiment te tirer les vers du nez, à toi, grogne-t-elle. À quelle question ?

— Elle voulait qu'on fasse équipe.

— Pourquoi tu as refusé ? Elle se débrouille comme une chef.

— Elle me voit comme un bout de viande. La seule queue qui lui donne envie de jouer avec moi n'est pas suspendu sur le socle.

Du doigt je désigne l'armature en bois d'acajou fixée au mur qui abrite le matériel pour le billard.

— Et ça te dérange ? Un gros baiseur comme toi...

— Un gros baiseur comme moi ? répété-je ébahi. Je ne sais pas d'où tu tiens tes infos mais il va falloir les vérifier. Et le féminisme ça te parle ? Si on inversait les rôles de cette conversation, tes propres paroles te choqueraient.

Elle retrousse le nez. J'ai fait mouche. J'ai l'impression qu'elle va s'excuser mais elle n'en fait rien.

— Peu importe ! Jouons !

J'appuie mon regard dans le sien, relève le menton et murmure :

— Oh oui : jouons !




______

INSTAGRAM : @kentinjarno

KILL BILL (Dark Romance)Where stories live. Discover now