CHAPITRE 3

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CASSANDRE


En sortant du taxi, je manque de me tordre la cheville. Quelqu'un peut me rappeler pourquoi j'ai eu la brillante idée de chausser des escarpins à l'occasion de la rentrée ? Ma nouvelle paire de Louboutin flambant neuve. Le temps qu'elle se fasse à mes pieds, elle en profite pour me broyer les orteils – surtout le gauche – comme si elle comptait en faire de la purée mousseline. Chouette ! Mes doigts feront les saucisses Knacki.

Note à moi-même : demander à grand-mère d'arrêter de me faire goûter toutes les marques imaginables qu'elle ramène de France juste pour que je connaisse cette partie de ma culture sur le bout des doigts. Après, je me traîne des références éclatées au sol comme des boulets derrière moi.

— Cass' !

À l'instant où j'entre dans le bâtiment de l'administration principale de Princeton, une voix familière m'interpelle. J'ai tout juste le temps de pivoter pour réceptionner dans mes bras une silhouette brune dont le mulet donne un nouvel aspect au visage. Je serre Carmen de toutes mes forces puis la tient à bout de bras pour l'observer. Mis à part cette coupe à laquelle il me faudra m'habituer, elle n'a pas changé du tout.

— T'as vu ! Nouvelle coupe pour une nouvelle vie, me lance-t-elle guillerette.

— C'est... original.

— Ça, ça veut dire « moche » en politiquement correct.

— Je n'irai pas jusque-là, mais j'ai besoin d'un temps d'adaptation.

Carmen grimace. La profondeur de ses grands yeux verts est accentuée par les faux-cils qu'elle pose tous les jours. Parfois, elle m'évoque la diva d'un cabaret guindé. Dommage pour elle, je sais ce qu'elle vaut en chant : à peine deux sur vingt. Notre dernier karaoké sur Dua Lipa a viré au drame à tel point que l'animateur de la soirée doit encore rêver d'estampiller la mention « interdite de séjour » pour la Grande-Bretagne sur nos passeports.

— C'est surtout que tu n'es pas la reine du politiquement correct, me rappelle Carmen.

— Qui sait ? Je me suis peut-être acheté du tact cet été.

Mon amie hausse un sourcil.

— Même si tu te faisais perfuser du tact, ça ne fonctionnerait pas sur toi. Miley Cyrus ne nous dira pas le contraire !

— J'apprécie la comparaison à une si grande artiste, mais je n'ai pas suivi là...

— Retour brutal à la réalité : je ne te comparais pas à Miley mais au boulet de démolition sur lequel elle se balance dans le clip de Wrecking Ball. Ça, c'est toi.

Le sourire goguenard de Carmen me fait lever les yeux au ciel. Bon ! J'avoue avoir des tendances un peu bourrines sur les bords. Ce n'est pas de ma faute, je suis du genre à avoir quatre pieds gauches. Maladroite chronique, tous les coins de table et les cloisons sont pour ma pomme. À croire qu'on m'a jeté une malédiction quand j'étais gamine.

Le regard de Carmen s'abaisse jusqu'à mes pieds et ses yeux s'arrondissent.

— Me dis pas que c'est...

— Si si ! Le tout nouveau modèle.

— C'est original, mais pourquoi pas. Je pourrais essayer les nouvelles à l'occasion, dis ?

— Ça dépend ! Tu comptes encore me comparer au boulet de démolition de Miley Cyrus à l'avenir ?

Carmen s'esclaffe.

— Évidemment !

Je soupire. Elle glisse son bras sous le mien et m'entraîne à sa suite.

— Fais pas genre ! Tu adores ma franchise et c'est exactement pour ça que tu me les prêteras quand même.

— Tu me saoules quand t'as raison.

— Je sais.

On dit de moi que je suis une tornade. Ma meilleure amie est un cyclone. Nous étions faites pour nous rencontrer et il existait deux options : nous haïr et nous adorer. Nos affinité nous ont poussé dans la seconde direction. Depuis notre arrivée à Princeton il y a un an, nous ne nous sommes plus lâchées.

— Ralentis ! m'écrié-je. J'ai déjà plus de pieds dans mes godasses...

— T'inquiète ! On demandera à un première année de te faire un massage. Privilège de deuxième année.

— Tu veux déjà jouer au tyran alors qu'on n'a même pas encore eu notre premier cours ?

— Et comment ! La promo au-dessus de la nôtre ne s'est pas gênée avec nous l'année dernière, il est temps de prendre ce qui nous revient de droit.

Une fois arrivées à la masse agglutinée devant les tableaux en liège, Carmen nous fraie un chemin en jouant des coudes. Les protestations se multiplient, je distribue de grands sourires pour calmer les esprits. Je n'ai même pas le temps de m'intéresser aux noms affichés sur la liste qui se dévoile enfin face à moi que je percute la mauvaise personne.

— Eh ! tonne une voix gutturale.

Une confirmation visuelle ne m'est pas nécessaire pour savoir de qui il s'agit, mais je ne parviens pas à réprimer le réflexe de tourner la tête dans la direction concernée. Le type devant moi me dépasse de plusieurs centimètres, en dépit de mon mètre soixante-cinq et des mes talons haut. Il me toise de ses iris plus noirs que les ténèbres. Même mes plus sombres cauchemars ne sont pas aussi terrifiants. Sans parler des éclairs qui jaillissent desdits yeux pour me foudroyer sur place.

Dans son jean noir et sa chemise de la même couleur, il m'évoque la Grande Faucheuse venue m'annoncer que mon heure est venue. Je n'avais jamais envisagé que la mort puisse être aussi sexy... et odieuse.

— Tu peux pas faire gaffe ?!

Axel McCall. L'étudiant le plus antiphatique de Princeton, voire du monde entier. Si je ne lui ai jamais adressé la parole directement, j'ai pu avoir un aperçu de sa bonne humeur chronique. Je ne l'ai pas vu sourire une seule fois en un an à le côtoyer dans tous les cours et les amphithéâtres, ce qui est un exploit. Faire la gueule en permanence devrait être puni par la loi. Au moins, derrière les barreaux, il éviterait de pourrir l'ambiance comme un nuage gris dans un ciel estival.

Ça aurait été quelqu'un d'autre, j'aurais arrondi les angles. Mais ce mec me tape sur le système depuis bien trop longtemps pour avoir ce passe-droit.

— Faire gaffe à toi ? Pauvre petite chose fragile. Tu aurais voulu que je te caresse l'épaule et que je prépare ton goûter dans une belle boîte rouge Spider-Man ?

À bien y songer, si c'est Tom Holland qui apparaît sur la boîte, je préfère la garder pour moi.

— À l'image de ta délicatesse de renommée internationale, tu es hilarante, persifle-t-il. Brutale, pas drôle, pas intéressante. Tu as encore beaucoup d'autres qualités ?



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INSTAGRAM : @kentinjarno




KILL BILL (Dark Romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant