CHAPITRE 5

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AXEL


En arrivant dans l'amphi, je me dirige vers le flanc droit où j'ai élu domicile dès mon arrivée à Princeton. Parfois, je me demande encore comment j'ai réussi à intégrer une université aussi prestigieuse. À défaut, je sais au moins pourquoi je suis là. Mon père et ma mère ont tous les deux arpenté les couloirs de ce monument du système éducatif américain. Le besoin irrépressible de marcher sur leurs traces m'animent. C'est ma manière de me sentir proche d'eux, de m'assurer qu'ils sont fiers de moi.

Je me laisse choir sur le siège en bois des moins confortables, lâchant mon sac à côté de moi. Tout le monde a déjà dégainé son ordinateur. Pour ma part, je me pointe en cours avec mon vieux bloc-notes sur lequel il y a davantage de dessins que de prises de notes et un stylo tellement abimé qu'il reste à peine la moitié de sa carcasse. Le bâton d'encre dépasse du plastique transparent, me donnant l'air d'un clochard qui essaie de se faire passer pour un étudiant. Ce n'est pas pour me déplaire : ça fait fuir les gens. Ou peut-être est-ce mon regard noir et mon naturel taciturne ?

Je ne néglige aucun effort pour éloigner tout le monde de moi. La paix n'a pas de prix. Je ne connaîtrais jamais la paix intérieur, je m'octroie au moins le droit de l'instaurer autour de moi.

— Tu me fais pitié !

Je lève la tête sur un type aux yeux si bleus qu'il est parfois difficile de soutenir son regard. Ses courtes boucles châtains adoucissent son portrait, mais son penchant pour la raillerie renverse la balance du premier côté.

— Attends, deux secondes, lui dis-je.

Je fouille dans la poche intérieur de mon blouson en cuir pour en sortir un doigt d'honneur. Il éclate de rire puis se penche pour me prendre dans ses bras. Il me tape le dos comme s'il voulait me décoller un poumon mais la chaleur de son étreinte à un drôle de pouvoir sur moi : elle éloigne le froid polaire qui compose mon âme, m'empêchant de me cryogéniser. Cela me raccroche au semblant d'humanité qu'il me reste.

C'est Rayane. Le seul capable de me donner un peu de chaleur sans que j'ai envie de lui encastrer la tête dans un mur, comme avec le commun des mortels. Remarquez ! Il suffit qu'il ouvre la bouche pour que l'envie me revienne.

— Un jour, je t'achèterai un nouveau bloc-notes, m'assure-t-il. Et des stylos. Que tu refuses de bosser sur ordi comme toute la promo...

Il balaie l'amphithéâtre des yeux puis précise :

— ... littéralement TOUTE la promo, c'est une chose. Mais tu pourrais au moins faire l'effort de ne pas te pointer avec du matériel à peine acceptable en maternelle.

Il m'avise de son regard scrutateur. Je passerais sous le faisceau d'un scanner que je ne sentirais pas la différence.

— Ton vernis est aussi bien étalé qu'un coloriage fait à la crèche, raille-t-il. T'as été payé pour avoir l'air d'un clochard ?

J'observe le bleu sur mes ongles. Rayane n'a pas tort : je m'y suis pris comme un bourrin. Ça n'a rien de bien étonnant, la délicatesse n'est pas mon point fort.

— Ça change, comme couleur, me contenté-je de répondre.

Ça change surtout du sang qui me macule les mains à chacune de mes victimes.

— Ouais, c'est du bleu quoi. Une couleur primaire. Qu'on découvre à la crèche.

— Tu sais ce qu'on découvre pas à la crèche mais que tu t'apprêtes à goûter ?

— Éclaire ma lanterne !

— T'es déjà pas une lumière, ça me paraît compliqué.

— Ha ha ! Je suis mort de rire, nasille Rayane.

Un sourire anime mes lèvres.

— Et pour info, je parlais de mon poing dans ta jolie petite gueule.

— C'est vrai ? Tu trouves que j'ai une jolie petite gueule ?

Tout content, il s'observe dans l'appareil photo de son téléphone, tandis que je lève les yeux au ciel.

— Tu retiens bien ce qui t'arrange, toi.

— La vie est courte : je rentabilise mon temps.

Il verrouille son téléphone puis me dit :

— Notre promo s'est pratiquement divisée par deux depuis l'année dernière. C'est fini l'époque de l'embarras du choix.

— Ça t'arrive de penser à autre chose que le cul ?

— Tu préfères qu'on parle de ta passion pour le je-m'en-foutisme, de ton air débraillé et de tes fournitures plus vieilles que le prof ?

Je remarque seulement que l'enseignant de notre première matière de l'année vient de faire son entrée par la porte inférieure de l'amphithéâtre. Il installe ses affaires tout en jouant avec sa moustache grise me rappelant un gaulois.

— OK ! capitulé-je. Restons sur le cul.

— J'aime mieux ça. Bon ! J'ai déterminé qui sera ma nouvelle cible.

— Je sais pas pourquoi, je m'attends au pire.

— Peut-être parce que je t'ai toujours habitué au pire ?

Son sourire angélique cache le petit diablotin qu'est vraiment Rayane. Dans sa chemise bleu clair et sa veste beige, il a l'air d'un premier de la classe. Il en est pourtant loin, mais ne se défend pas trop mal.

— Je veux me faire Cassandre Caldwell.

Ma salive glisse dans le mauvais conduit. Tout en m'agrippant à la tablette où sont posées mes affaires, je tousse comme un forcené pour éviter de m'étouffer.

— Sérieux ?

— Ben ouais ! Elle est bonne.

J'arque un sourcil.

— Pardon ! Je ne dois pas parler des femmes comme ça...

Il emprunte une voix théâtrale puis déclame :

— Sa beauté m'évoque un délicat coucher de soleil et je prie chaque soir dans mon lit qu'elle me montre sa lune. Mieux ?

Je secoue la tête, contenant le rire qui menace de m'échapper. Des fois, j'aimerais ne pas être réceptif à l'humour de mon meilleur pote. Seulement, je n'y peux rien, il trouve toujours le mot pour m'avoir.

— T'es pas obligé de devenir Hemingway non plus, nuancé-je. Je suis pas réputé pour ma délicatesse, mais « bonne », ça deg' un peu.

— Ça fait pièce de boeuf. Tournedos rôti sur le feu de bois avec ses frites et sa sauce béarnaise. Tu crois qu'elle aimerait ma grande frite ?

— Tant que tu lui demandes son accord avant de lui envoyer la sauce béarnaise...

— T'en fais pas, je comptais pas lui demander d'avaler.

Il se dévisse le cou pour observer la blond installer sur la même rangée que nous mais dans le milieu de l'amphithéâtre.

— C'est écrit sur son visage, me dit-il. Cassandre Caldwell n'avale pas. Mais je suis sûr qu'elle suce comme une déesse.



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KILL BILL (Dark Romance)Where stories live. Discover now