• CHAPITRE QUATRE-VINGT-ONZE •

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— Madame a parlé, lance Alec en m'adressant un clin d'œil.

L'expression de Monsieur Bleu Acier reste insaisissable alors que nous nous dirigeons vers le salon. Il pourrait tout aussi bien être Jekyll que Hyde, pour ce que j'en sais. Je n'ai aucune idée de la sauce à laquelle sa sœur va être mangée, mais une chose est sûre, cela sera amplement mérité. Alec ouvre la porte de manière théâtrale et dès qu'elle réalise qui se tient à mes côtés, la surprise et la panique déforment tous ses traits.

— Hady, souffle-t-elle.

— Hayden, la corrige-t-il durement.

Elle s'accroche à la lanière de son sac comme si sa vie en dépendait et je ressens une satisfaction intense à voir son assurance s'effriter à sa simple vue.

— Entrez donc !

Stella lance à Alec un regard empreint de mépris qui me donne envie de rire, mais elle obtempère malgré tout. James surgit telle une tornade entre ses jambes en la faisant presque trébucher et la silhouette d'Evan ne tarde pas à apparaître également.

— Dites-moi que c'est une blague ! se lamente-t-il lorsqu'il aperçoit Stella.

— Nous voilà au complet ! s'amuse Alec.

Il y a comme un équilibre des forces qui s'instaure dans notre petit groupe. Bien que dans l'une des équipes, les coéquipiers ne soient pas vraiment dans le même bateau. J'inspire un bon coup et je me détourne en direction de la cuisine en ignorant leurs regards interloqués. J'ouvre une bouteille de vin avec un calme qui me surprend moi-même et je me sers un verre.

— Quelqu'un ? je demande en secouant légèrement la bouteille.

— Volontiers ! s'exclame Alec en claquant des mains.

Je le sers, fais glisser son verre sur le bar et je bois une gorgée avant de m'installer sur l'un des tabourets. Qu'ils s'entretuent s'ils le souhaitent ! Je n'ai aucune intention de m'interposer entre eux. Hayden pose son casque sur la table basse, retire sa veste et relève soigneusement les manches de sa chemise jusqu'aux coudes avant de s'installer sur le canapé sous nos yeux ébahis. Il prend sa tête entre ses mains et la laisse pendre en direction du sol. Tout le monde se fige et je suspends mon geste, attendant la suite.

— Pourquoi ? demande-t-il simplement.

Le timbre résigné de sa voix me fend le cœur et j'observe Stella qui semble encore plus choquée que moi.

— Hady...

— Hayden ! rugit-il en frappant du poing sur la table. C'est Hayden !

Elle sursaute, tout comme le reste d'entre nous dans la pièce et prend le temps de bien choisir ses mots avant de lui répondre.

— Je n'aurais jamais pensé qu'il puisse commettre quelque chose d'aussi abominable.

— Je t'ai demandé pourquoi, pas ce que tu pensais, réplique-t-il fermement.

— J'espérais arranger la situation entre vous deux.

— Arranger ? s'étrangle-t-il presque. Éclaire-moi donc, Stella, comment ton plan se déroule-t-il jusqu'à présent ? À merveille, tu dirais ? crache-t-il.

— J'étais persuadée qu'il réaliserait le mal qu'il t'avait fait et qu'il ferait amende honorable une bonne fois pour toutes.

— À croire que ta tête est plus belle que pleine finalement.

Je n'ai aucune peine pour elle, ce n'est que la vérité après tout. J'aimerais sincèrement comprendre sa démarche, car elle ne peut pas être aussi naïve au point de ne pas connaître ses propres frères.

— Hayden, je ne sais pas quoi te dire, à part que je suis désolée.

— Ce n'est pas à moi que tu dois présenter des excuses ! 

— C'était le motif de ma visite, se défend-elle.

— Tu veux me faire croire que la reine du mensonge et de la dissimulation que tu es a soudainement décidé de venir reconnaitre ses torts ? Et ce de sa propre initiative ? Pour qui me prends-tu au juste ?

— C'est pourtant ce que je suis venue faire, rétorque-t-elle les lèvres pincées.

Je ne peux qu'imaginer combien cela doit lui coûter de dire ce genre de chose, mais l'occasion est bien trop belle pour que je ne la saisisse pas.

— Je t'écoute, j'interviens donc.

Elle tourne brusquement la tête vers moi, son regard hargneux confirmant les accusations de son frère. Ce n'était clairement pas le but de sa venue. Elle n'arbore aucune mine déconfite. Elle a seulement l'expression d'une femme prise la main dans le sac.

— Je suis tout ouïe, je poursuis. Dis-moi donc à quel point tu es désolée de m'avoir traîné dans la boue. Oh, et puisque nous y sommes, n'hésite pas à t'excuser de m'avoir menacé ouvertement.

Hayden déploie sa stature en un temps record, dominant Stella de toute sa hauteur et ses yeux orageux me trouvent immédiatement.

— De quoi parles-tu ? me questionne-t-il.

Je bois une gorgée en observant Stella par-dessus mon verre. C'est bien la première fois que je vois quelqu'un devenir d'une pâleur cadavérique si rapidement.

— Qui préfères-tu que cela soit, Stella ? Toi ou moi ? Après tout, tu es sa sœur. Peut-être qu'il préférera l'apprendre de ta propre bouche. Qu'en dis-tu ? 

J'ai essayé plus d'une fois d'apaiser mon cœur à son sujet, même à des milliers de kilomètres, mais rien n'y fait. Vipère un jour, vipère toujours.

— Stella ne me fait pas perdre mon temps, gronde-t-il.

Sa patience à des limites.

— J'ai... Je... Lors de... bégaie-t-elle.

— Construis une phrase, bordel de Dieu ! s'emporte-t-il. 

— Je vais l'aider. Ta sœur m'a suggéré aimablement de sortir de ta vie, à défaut de... hum... quel était les termes de ton accord unilatéral déjà ? Si tu ne t'en souviens pas, abrège tes souffrances en nous révélant la véritable raison de cette visite avant que je ne te rafraichisse la mémoire. 

Je ne mettrais pas fin à son calvaire aussi aisément. S'échapper avec de fausses excuses est bien trop simple.

— Rien ? je fais mine de tendre l'oreille. Commençons donc par les paroles les plus avilissantes que tu m'as jeté au visage. Celles où tu m'as demandé de combien d'argent j'avais besoin, prétextant connaître les filles comme moi, car tu les voyais défiler depuis des années.

— Pardon ? intervient Monsieur Bleu Acier d'une voix redoutable.

— Je tentais de protéger mon frère !

— Poursuivons alors mon moment préféré. Celui où je n'étais qu'une petite écervelée qui ne comprenait rien, suivi de la douce promesse de faire de ma vie un enfer si je m'approchais encore de lui.

— J'ai saisi ton point ! fait-elle en croisant les bras avec une arrogance surprenante.

— Non, tu n'as pas saisi, non ! je m'enflamme. Tu aurais pu t'arrêter là, mais il a fallu que tu enfonces le clou avec la Juilliard !

— Quoi ? s'indigne Alec.

Stella recule tel un chaton apeuré alors que son frère s'avance dangereusement d'un pas. Le corps d'Evan fait rapidement barrage entre eux.

— Restez en dehors de mon chemin, lui ordonne-t-il les mâchoires serrées.

— Je ne vous apprécie ni l'un ni l'autre, mais cela n'en vaut pas la peine. Votre sœur semble être une bonne grosse conne de première, mais si Angy n'a pas jugé utile d'écraser son poing sur sa tronche condescendante par le passé, cela ne sert à rien aujourd'hui.

— Que croyez-vous faire au juste Evan ?

— J'essaie simplement de vous empêcher de commettre une erreur que vous pourriez regretter.

— Je suis un grand garçon, lui répond-il en le bousculant sans ménagement.


🖋️ Prochain chapitre, mardi prochain à 18h30.

BALLERINAWhere stories live. Discover now