...je pose mon casque sans fil...

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Je pose mon casque sans fil sur mes oreilles et grâce au pod que Sekani m'a fabriqué, j'entame ma playlist de travail. J'enfile des gants en latex épais et m'empare de mon essentiel de nettoyage ; un seau à moitié remplie d'eau, une brosse et de la javel.

Malgré la musique à fond dans les oreilles, les hurlements dans la pièce d'à côté me parviennent. Je déglutis et tente de ne pas y penser. Un frisson me parcoure l'échine et je serre le manche de la brosse pour me redonner de la contenance. Sur le rythme d'une vieille musique pop, je m'accroupis et me mets à frotter le sol, le béton crisse sous les assauts de la brosse et mes muscles se tendent pour garder un rythme régulier. Le sang séché incrusté dans les fentes commence à teindre l'eau d'un marron sale. Une odeur de fer et d'organe en décomposition emplit la pièce et me pique les narines. Une nausée me monte à la gorge alors je rajoute de la javel pour essayer la dissimuler.
au bout d'une heure, mes bras sont douloureux par l'effort et des gouttes de sueurs se mettent à me tomber devant les yeux mais je poursuis, je frotte et refrotte, je gratte et récure le sol et les murs jusqu'à ce que l'ensemble de la pièce en béton sente le produit chimique et soit moins colorée de rouge.
Je soupire et essuie la sueur de mon front d'un revers de main avant de regarder le seau rempli d'eau sale avec dédain.

Et dire que des enfants meurent de soif.

Ça me rend malade d'utiliser de l'eau potable pour nettoyer par terre mais je n'ai pas le choix, j'ai besoin de ce travail.

Et de ses avantages.

Je prends mon matériel et me dirige vers la pièce suivante dans un soupir. Une fois devant, je me fige et une sueur froide glisse le long de ma colonne vertébrale. Un Afroïde est allongé nu sur une table d'opération, se démenant comme un beau diable pour se libérer des liens qui maintiennent ses membres. Son crâne et ses joues portent les coupures d'un rasage au couteau et des lignes de feutre blanc parcourent chaque partie de son corps luisant de sueur. D'après la teinte cuivrée de sa peau il doit être un niveau 3 ou un faible niveau 4. Quand il remarque ma présence il s'arrête et me fixe de son regard gorgée de sang, je dégluti et esquisse un pas en arrière. Sa poitrine se soulève à intervalles réguliers et son visage est déformé par l'effort. J'enlève mon casque et regarde autour de moi, ne comprenant pas pourquoi il se trouve dans une pièce que je suis censée trouver vide.

—              Aide moi à me détacher, me chuchote l'homme en me perçant de ses yeux bruns.

Je le regarde, gênée, incapable de lui répondre.

—              Allez, insiste t'il, tu es Nervidienne, tu as au moins une personne dans ta famille qui est Afroïde, tu es ma sœur, on a le même sang, libère moi.

Il respire fort et son corps tremble sous l'effet de l'adrénaline. Il n'est plus foncé que moi que d'une teinte, à une teinte près il aurait pu passer dans les mailles du filet. Il a encore cette fougue dans le regard qui m'indique que c'est un déserteur tout fraichement attrapé.

Il a encore l'espoir de s'en sortir.

—               Je ne peux pas, me résigné-je à répondre.

Le désespoir creuse profondément ses traits pendant quelques instants, mon estomac se noue sous la culpabilité. Je vois exactement le moment où il comprend que je ne peux rien pour lui et qu'il va mourir dans d'atroces souffrances. Très vite, la colère prend le dessus, une colère sombre qui se transforme en torrent de rage. Son visage se déforme, ses yeux se gorgent encore plus de sang  et il crache un jet de salive violent qui s'écrase bruyamment contre le sol de béton.

—               Sale chienne de Nervidienne.

Ses mots sont articulés avec lenteur et précision. Aussi tranchants que des lames de rasoirs. Je contracte la mâchoire et serre dans ma paume la poignée du seau pour me préparer à ce qui va suivre.

ALKEBULAN T.1.Le cœur du mondeWhere stories live. Discover now