Sara K Davenport

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─ Médiocre ! Des dialogues ordinaires et des descriptions lamentablement simplistes ! Voilà les critiques. Arthur, je ne vous parle même pas de tous les messages de haines ! On me dit folle, homophobe, dévergondée, traditionnaliste et j'en passe ! Je suis accusée de tout et son contraire ! J'ai besoin d'un autre verre moi !

Je continue mon monologue, fixant le pauvre barman qui supporte, stoïque, mes jérémiades.

L'air siffle dehors et passe sous la porte du bar sombre. Je n'ai aucune envie d'être là et aucune envie de repartir.

─ Tu connais Tern676 ? Il dit que je suis une alcoolique, que mes héros ne font que boire. Et Xyle-Fontebry a décrété que j'écris de la merde.

─ Madame Davenport, je suis désolé...

─ Un autre verre Arthur et longue vie aux cons !

─ Merci madame.

─ Ne le prends pas mal ! Je ne parle pas pour toi, mais je déteste New York et ces connards de ma maison d'édition qui m'ont obligé à venir. Honnêtement, ils font chier ! Je dois être visible sur les réseaux. Je dois me vendre, alors que ça va à l'encontre de ma nature timide et je sens que je me bloque chaque jour davantage.

Je fais tourner mon verre devant moi, admirant les nacres du bar.

─ Ils vont me rendre folle avec leurs exigences !

Miller est en mauvaise situation, en fait c'est bien simple, je ne sais absolument pas quoi faire de lui !

J'ai déjà trop bu pour conduire, mais tant pis. Il va être temps d'y aller avant d'insulter ce pauvre barman, qui m'a inspiré Chambeau, sans le savoir.

─ Madame Davenport, je suis désolé. J'espère que les choses vont s'arranger, insiste ce brave Arthur.

Je grimace, d'une moue dubitative.

─ Bon, j'y vais mon grand à la prochaine !

Il fait si froid, le mois de janvier s'étire interminable. Je n'ai pas trouvé de place dans l'immeuble de la maison d'édition et j'en ai pour presque un kilomètre pour rejoindre le parking payant. Au moins, je vais décuver un peu.

Ils ont raison je suis nulle !

Je marche dans les rues désertes, les yeux fixés au sol guettant les plaques de verglas.

S'ils savaient comme je regrette d'avoir découvert l'écriture à l'adolescence : c'était comme une drogue, cette jouissance face aux mots qui jaillissaient de mon clavier.

J'ai tout sacrifié à cette passion ! Et voilà comment les lecteurs me récompensent !

Huée sur les réseaux, mes héros sont surfaits ! Rien ne va dans mes scénarios ! Mon génie est derrière moi, comme ils ne cessent de le dire. S'ils savaient !

Je n'ai pas été invité au bal de ma promotion quand j'étais au lycée, cela m'arrangeait, car je travaillais déjà sur mon deuxième manuscrit. Quand mes copines sortaient avec des garçons, moi je rencontrais des maisons d'éditions. Plus tard, elles ont accouché de bébés braillards et moi de romans.

Pendant longtemps, j'ai aimé cette vie, plus que tout, avec le recul, je suis passé à côté de tout ce qui fait la substance des choses.

On me reproche de ne pas écrire de scènes 'hots' dans mes livres. La vérité c'est que tout simplement je n'ai aucune légitimité pour les écrire. C'est terrible, j'ignore tout du sexe et de l'amour, c'est risible quand on songe que j'approche de la cinquantaine.

Dans ma biographie, mon éditeur a tordu la réalité. Derrière la mention, elle est entourée de sa famille, il faut comprendre qu'en réalité, mes parents sont mes voisins à Hampton et ne parlons pas de mes poules, elles meurent toutes !

Le personnage clandestin du roman [M*M]Where stories live. Discover now