Chapitre 8 - Brooke ⛸️

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Doucement, je pose un pied sur la glace, puis finalement, un autre. Ça ne fait que quelques mois que je n'ai pas foulé une patinoire, néanmoins, pour mon corps, on dirait que des siècles se sont écoulés.

Mon cœur bat à tout rompre, comme s'il cherchait à se barrer de ma poitrine. Je prends de longues inspirations afin de me calmer, et je garde mes souvenirs enfermés dans une boîte au fond de ma caboche.

Tranquillement, j'entreprends de faire quelques glissades, histoire de vérifier que je sais toujours me tenir debout sur des patins. Au départ, j'ai la sensation d'être telle une porte rouillée qui a besoin d'un peu d'huile dans ses gonds. Puis, en parcourant le terrain glacé à plusieurs reprises, je récupère la fluidité dans mes mouvements. Mon corps se détend, familier aux sensations que le patinage me procure. Le froid de la glace pénètre dans mes poumons et me réconforte.

Peu à peu, tout mon être s'en rappelle, et patiner devient alors un jeu d'enfants. C'est comme si je n'étais jamais vraiment partie.

Après un échauffement plutôt rapide, je m'arrête en plein milieu de la piste et sors mon téléphone portable de la poche de mon polaire. Une fois l'écran déverrouillé, je lance l'appli Spotify afin de trouver une musique qui m'inspirera, qui me donnera envie de patiner comme dans le temps, d'improviser un enchaînement.

En parcourant les différentes listes, je tombe finalement sur la chanson Never Enough, de la bande son du film musical The Greatest Showman, l'un de mes préférés. Ma main commence à trembler, il s'agit de celle que j'avais choisie avec mon coach pour la chorégraphie qui devait m'ouvrir la porte des Jeux d'Hiver. Je ne l'ai plus écoutée depuis. Peut-être devrais-je patiner au son de Loren Allred pour exorciser ce mal qui me consume encore trop à mon goût ?

Tourner la page.

C'est bien pour ça que je suis venue à Oak Ridge, non ?

Après avoir pris une grande inspiration, j'appuie dessus, mets le volume à fond et range le portable dans ma poche.

Le cœur au bord des lèvres, lors des premières notes de piano, je prends place au centre de la piste et tente de me souvenir d'une partie de mon programme. Chaque mouvement avait été étudié avant de l'intégrer. Alec ne laissait jamais rien au hasard, et même s'il utilisait beaucoup de mes idées, je devais suivre ses directives au pied de la lettre.

Pas de figures trop risquées, me houspille ma conscience.

Non, cette fois, je vais passer outre les sauts et les pirouettes, je ne souhaite pas me ramasser.

Je me contente d'enchaîner les suites de pas au son de la musique, comme si je dansais dans l'intimité de ma chambre.

Sur la glace, je me sens libre, tel un oiseau ayant récupéré sa liberté après être resté enfermé en cage. Je me sens bien, à ma place. L'appréhension a disparu, à présent, je souhaite patiner pendant des heures entières. Les larmes brouillent mes yeux tant le sentiment qui s'empare de moi est puissant. Les émotions qui déferlent en mon sein sont d'une intensité que je ne connaissais pas encore. L'air froid des lieux caresse mes joues rougies par l'effort, je me perds entre la musique qui s'échappe de ma poche et les différents mouvements de ma chorégraphie à moitié improvisée.

Ma mère me vient à l'esprit, ses critiques, ses reproches... sa déception. Tel le titre de la chanson qui résonne dans la patinoire, j'ai toujours eu la sensation de n'être jamais assez, qu'importe mes efforts.

Mon cœur se serre face à cette pensée qui a, pendant trop longtemps, pullulée mon esprit. Depuis ma plus tendre enfance, c'est ce que j'éprouvais, sans jamais pouvoir en parler ouvertement.

Oak Ridge Campus #1 King ©Where stories live. Discover now