Chapitre 22

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Je me réveillai le lendemain la bouche pâteuse et une barre sur les yeux. Je me retournai pour vérifier où j'étais mais non, je n'étais plus dans le lit de Jack. J'étais dans ma chambre et il n'y avait aucune trace du Canadien. Alors que je m'asseyais dans mon lit, la soirée de la veille me revenait dans un brouillard.

Le procès. J'en avais parlé. Et pas seulement du procès, mais aussi de toute l'histoire avec Carine. Est-ce que j'avais aussi parlé des autres ? Au fur et à mesure que mes paroles exactes me revenaient en mémoire, je prenais conscience de l'énorme erreur que je venais de commettre. Ce n'était pas pour rien que je m'interdisais toujours de boire plus de deux verres d'alcool, la veille j'avais dépassé de beaucoup la limite et n'avais plus contrôlé mes paroles. La peur qui était apparue dès les premiers souvenirs se faisait de plus en plus présente au fur et à mesure que je réfléchissais. Jack. C'était à Jack que j'avais raconté mon passé. Pas au malléable Steven ou à mon ami Martin, mais à celui que je connaissais le moins et dont je pouvais le moins prévoir les réactions. Celui qui n'hésiterait pas à aller en parler à Peter. C'était le pire qui puisse arriver.

Je n'entendais aucun bruit, je regardai ma montre et m'aperçus qu'il était presque midi. Ils devaient être partis travailler. Je me risquai à descendre dans la cuisine et ne trouvai effectivement personne. Nous avions prévu d'aller voir une exposition avec Matteo, mais un mot de lui dans la cuisine m'informait qu'il avait été obligé de partir voir un copain et qu'il devait annuler. Je trouvai cela étrange, est-ce que Jack lui avait parlé ? Il n'avait pu manquer de le faire. Tous devaient déjà être au courant. Comment allaient-ils réagir ? Jack avait forcément relevé les similitudes entre la situation que j'avais vécue avec Carine, et celle que nous vivions ici dans la maison. Et j'avais en plus mentionné avoir empêché Martin et Matteo de partir ! Qu'est-ce qui m'avait pris ? Je n'avais jamais été aussi imprudente.

Ce nouveau problème m'avait un instant fait oublier celui du procès qui arrivait, mais je savais les deux situations liées. Tout mon monde était en train de vaciller, non seulement celui de Londres, mais ma liberté même, par le passé qui me rattrapait. Etrangement je n'en ressentais aucune panique, c'était comme si l'inexorable devait s'accomplir.

Je remontai dans ma chambre et m'y enfermai jusqu'au soir. Je dormis tout l'après-midi et entendis Jack rentrer dans un demi-sommeil. Lorsque je me réveillai tout à fait il était déjà vingt heures, la nuit était tombée. J'entendais la musique venue du bas, cela au moins n'avait pas changé. En fait, rien ne semblait avoir changé, la musique, les voix dans la cuisine. Ma petite chambre si mal arrangée. Les lumières de la rue. Je me levai dans un brouillard, l'alcool de la veille et la trop longue sieste rendaient difficile mon réveil. Mais je devais en avoir le cœur net.

Lorsque je pénétrai dans la cuisine, la conversation entre Peter, Martin et Jack se figea un instant, puis elle reprit après un « Hi, how are you ». Steven mangeait son plat sans mot dire. Matteo devait être au travail. J'avais l'impression que tous les regards étaient posés sur moi, même si tout semblait normal en apparence. Mais aucun d'entre eux ne me demandait comment j'allais, pas même Steven. Je ne pouvais supporter ces silences hurlés et me réfugiai dans ma chambre après quelques minutes.

Que savaient-ils exactement ? Que pensaient-ils ? J'aurais presque préféré qu'ils me parlent, j'aurais pu me défendre, contre-attaquer, trouver des solutions. Mais ces silences étaient pires, ils étaient des prémices d'exclusion pure et simple.

Plus je réfléchissais et ressassais le problème, les problèmes, plus le malaise physique augmentait. Je ressentais désormais des douleurs dans les membres, probablement dues à la tension que je mettais dans tous mes gestes depuis deux jours. Et cet épuisement qui me suivait depuis une semaine, depuis mon incursion dans la chambre de Matteo. Le fait que, trop soucieuse, je n'aie rien avalé de consistant depuis l'annonce de l'avocat n'aidait pas. Allongée sur mon lit je ne pouvais rien faire d'autre que fixer le plafond. J'attendais, j'espérais presque que quelqu'un vienne frapper à ma porte. Ou je le craignais, je ne savais plus. Comme semblait loin la soirée d'hier, lorsqu'un coup à ma porte était simplement annonciateur d'un thé ou d'un ami qui venait prendre de mes nouvelles. Là j'attendais le couperet.

Mais personne ne frappa. A l'heure habituelle du coucher de Jack, j'attendis dans une tension plus grande encore, puis à celle du coucher de Martin, de Steven, de Peter. Rien. Le silence et l'obscurité qui avaient recouvert la maison me calmèrent un peu et je finis par m'endormir moi aussi.

Lorsque je me réveillai, il était une heure du matin. Pas un bruit, mais Matteo devait être rentré du travail, et encore éveillé. Je voulais le voir, parler avec lui, lui confier mes peurs. Je voulais recevoir son sourire en retour. Je descendis les escaliers sans bruit et me dirigeai vers sa chambre. Une raie de lumière, j'avais raison, il était encore réveillé. J'allai frapper lorsqu'une voix étouffée me figea. Une voix venue de la chambre de Matteo, mais pas la voix de Matteo. Etait-il sur Skype ? Je ne reconnaissais pas le son métallique rendu par les haut-parleurs. Et brusquement, alors que la voix reprenait, je compris. C'était la voix de Jack, j'en étais sûre. Je n'avais même pas besoin de me demander pourquoi il était ici, c'était clair. Lorsqu'il me sembla entendre une nouvelle voix, mes jambes commencèrent à trembler. Steven ? Si même Steven participait, cela signifiait que tous étaient là. Je dus m'appuyer au mur, ma tête s'était mise à tourner. Mon procès avait déjà commencé.

Je remontai dans ma chambre, pris un sac et le remplis de quelques affaires machinalement jetées. Puis je redescendis sans bruit l'escalier. J'allai dans la cuisine, tournai les quatre boutons du gaz et sortis de la maison.

La rue était calme comme au premier jour.









 FIN













Merci d'avoir lu cette histoire!

Comme expliqué en présentation, c'est une histoire que j'ai écrite il y a très longtemps. Elle est loin d'être parfaite mais j'y suis attachée, surtout pour avoir poussé jusqu'au bout le personnage de Marie. 

Mon but était de jouer avec les lecteurs (vous ^^): je voulais qu'ils s'attachent à la narratrice, Marie, puis qu'ils sentent petit à petit un malaise s'installer jusqu'à ne plus pouvoir se sentir proche d'elle du fait de ses actions et pensées. 

N'hésitez pas à me dire si j'ai réussi!









Une maison à LondresWhere stories live. Discover now