Chapitre 16

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Je n'avais pu longtemps me contenter de la chambre de Steven. L'envie de communier avec les autres de la même manière que je le faisais avec lui, par l'imprégnation quotidienne de son odeur, la découverte de son intimité, se faisait sentir à chaque fois que je croisais l'un de mes colocataires. J'avais depuis peu commencé l'exploration de la chambre de Martin et c'était très exaltant. Mais celui dont je désirais le plus le monde intime me restait inaccessible pour le moment : Matteo était dans sa chambre aux seules heures où je pouvais m'adonner à mes explorations. J'en ressentais une frustration très forte que je m'efforçais de calmer en me raisonnant, l'occasion se présenterait bien un jour.

En attendant, je me contentais de nos longues conversations. Mais les deux heures passées avec l'Italien chaque midi ne me suffisaient plus, j'avais besoin de plus. L'intimité volée que j'avais acquise avec Steven, et maintenant avec Martin, renforçait ma soif de Matteo. Je souffrais chaque fois plus de le voir quitter la cuisine où nous discutions pour rejoindre sa copine et leurs trop régulières conversations par Skype. Je restais alors là, à tenter de prolonger un peu le moment où j'avais pu l'avoir rien qu'à moi en me remémorant la conversation que nous venions d'avoir. Ses rires, sourires, le plissement de ses yeux quand je l'étonnais, la moindre expression de son visage. Ses réparties, son bras qui parfois venait m'envelopper dans un geste trop fraternel. Ce processus nécessaire de répétition, de doublement mental, était pénétré de la voix de Matteo qui passait à travers le mur lorsqu'il était sur Skype. Sa voix réelle se mêlait à celle de mes souvenirs, aux mots qu'il avait prononcés ou que je voulais qu'il ait prononcés.

Cette rêverie quotidienne fut un jour désagréablement interrompue par une voix inconnue venue se mêler à celle de Matteo. Une voix de femme à travers un micro. Une voix qui pleurait. Je pensai immédiatement à sa copine, bien qu'il ne m'ait donné aucune précision lorsqu'il avait rejoint sa chambre. La voix était jeune, moins une femme qu'une jeune fille. J'étais surprise, je me la représentais toujours en femme, en égale. C'était pourtant logique, elle devait avoir le même âge que lui, peut-être légèrement plus jeune. A cet âge on pouvait être encore une jeune fille.

Cette voix qui pleurait me troublait et m'empêchait de me replonger dans ma rêverie. J'entendais la voix de Matteo, douce, qui essayait de répondre. La jeune fille oscillait entre larmes et accusations, je ne pouvais comprendre ce qu'elle disait exactement mais j'admirais le calme avec lequel Matteo lui répondait. Etaient-ils en train de rompre ?

Après un silence de plusieurs minutes, Matteo sortit de la chambre. Son visage était neutre lorsqu'il me rejoignit, il souriait comme toujours. Il se servit un café et me rejoignit à la petite table, jouant machinalement avec le vase qui s'y trouvait. J'avais acheté des tulipes cette semaine et leurs couleurs lumineuses donnaient un ton de printemps à la pièce. Un rayon de soleil se réfléchissait sur la chevalière qu'il portait à la main gauche, il s'en aperçut et s'amusa à la faire tourner.

« Ça va Marie ?

– Ça va. Et toi ?

– Ça va. » Mais bien sûr il n'allait pas bien, sa question seule suffisait à le comprendre. Je lui laissai le temps de se décider et il reprit bientôt. « Je viens de me disputer avec ma copine.

– Oh. » Une pause. « Je suis désolée.

– Elle dit qu'elle n'en peut plus que je sois ici. Que je lui manque et que je dois rentrer plus tôt.

– Mais ton travail ?

– Je termine mon contrat demain. Mon vol de retour est normalement dans deux semaines, je m'étais donné ce temps libre pour profiter de Londres avant de rentrer.

Une maison à LondresWhere stories live. Discover now