Chapitre 19

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La fête fut animée. Nos recettes françaises eurent un vrai succès, le vin que Martin s'était chargé d'acheter en revenant du travail, encore plus. Il avait anxieusement attendu le verdict de Peter qui savourait sa première gorgée, mais heureusement nous avions été gratifiés d'un « Not bad » qui nous adoubait. Peter n'avait ensuite plus décollé du buffet. Chacun vaquait à ses occupations habituelles en temps de fête, qui fumant, qui buvant, qui mangeant ou discutant. Je délaissai pour une fois mes activités d'observation, déjà rendues difficiles par le fait d'être sans cesse sollicitée en tant que Française pour des explications détaillées sur les plats, les caractéristiques des Français ou la dernière chanson de Stromae qui, non, n'était pas français mais belge. Mais surtout, j'avais une cible. Gerald le collègue de Martin était venu, un peu perdu au milieu de ce monde qu'il ne connaissait pas. Il était très propre sur lui et venait d'essuyer soigneusement la chaise de jardin avant de s'y assoir. Je profitai que Martin l'avait laissé pour aller saluer un autre invité, pour m'approcher de lui en souriant.

« Hello, I'm Marie. J'habite ici.

– Enchanté, je suis Gerald.

– Alors tu es le collègue de Martin ? Celui avec qui il va habiter ?

– Oui.

– Bonne chance ! » Je lui fis un clin d'œil.

– Bonne chance ? Pourquoi ?

– J'espère juste que tu aimes faire le ménage.

– Euh... » Le collègue semblait perplexe. Mon intervention était très directe, mais je manquais de temps. « J'aime un peu le faire, j'aime quand c'est propre. Mais pourquoi ?

– Ce n'est pas le domaine de prédilection de Martin. »

J'avais baissé la voix, attentive à ce qu'aucun de mes colocataires ne m'entende. Martin était en fait un de ceux qui participait le plus aux tâches ménagères.

« Je préfère te prévenir, j'étais un peu étonnée quand il est arrivé. Il n'aide pas, mais le plus gros problème est qu'il salit pour deux ! » Je riais, pour paraître ne pas accorder d'importance à ce que je disais. « Mais à part ça il est super sympa. Il faut juste sans cesse l'assister, comme un enfant. Bon, et puis il a ses moments de colère où là il ne faut pas lui parler sinon il casse, ou même frappe, mais ça c'est rare, même si c'est déjà arrivé. Un de nos colocataires pourra t'en dire quelque chose! Mais c'est comme tout le monde, on a tous nos petits défauts. Et après il s'en rend compte et vient s'excuser. On a juste pris un abonnement chez Ikea pour faciliter le remplacement des meubles ! », blaguai-je.

– Tu es sérieuse ? Il n'a pas du tout l'air comme ça au travail !

– Je pense qu'il est juste très soupe au lait. Et sa colère monte vite, il n'arrive plus à la contrôler une fois qu'il est lancé. J'étais très étonnée aussi la première fois, il est tellement calme et sympa en temps normal. Le problème c'est qu'on ne peut pas lui en parler, ça déclenche une nouvelle crise de colère. Donc après quelques épisodes on a appris à déceler les signes avant-coureurs, et dans ces cas-là on l'évite simplement, jusqu'à ce qu'il aille mieux. C'est pas pratique quand ça dure plusieurs jours, mais c'est une question d'habitude », achevai-je avec un grand sourire. « A part ça, qu'est-ce que tu penses de mes crêpes ? »

Je voyais Martin se diriger vers nous, un verre à la main, et décidai de m'éclipser après quelques phrases. Je sentais le collègue suffisamment secoué par ce que je venais de lui dire, nul besoin d'en rajouter. J'espérais juste qu'il n'irait pas en parler à Martin. Mais celui-ci était déjà passablement éméché, parlant fort et gratifiant Gerald d'une puissante tape sur l'épaule, qui le fit tressaillir. Je doutais qu'il ose aborder le sujet dans ces conditions.

Une maison à LondresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant