Chapitre 7

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Je prenais quand même tout particulièrement soin de Steven. Régulièrement alors qu'il partait à l'université je lui proposais de faire sa vaisselle pour qu'il gagne du temps. Puis au fur et à mesure je pris l'habitude de la faire sans lui demander. Ses bonnes manières lui disaient de protester mais au bout d'un temps il y renonça : cela l'arrangeait bien.

Après quelques semaines de présence avec nous, il avait commencé à se préparer des sandwichs pour emmener à l'université ou à l'hôpital : il s'était rendu compte qu'acheter quelque chose tous les midis lui revenait trop cher. Il se préparait donc son sandwich la veille au soir, toujours le même, composé de pain de mie, mayonnaise, une feuille de salade, jambon et fromage. Un matin qu'il regrettait que son sandwich soit déjà sec après une nuit passée au frigo, mais qu'il m'expliquait qu'il préférait le faire le soir pour être sûr d'avoir le temps, je sautai le pas et lui proposai de le préparer chaque matin. Il commença bien sûr par pousser de hauts cris, il était hors de question qu'il me laisse cette tâche hautement rébarbative. Je n'insistai pas le jour même mais revins à la charge quelques jours plus tard. Cela ne me prendrait que quelques minutes, j'avais tout mon temps et cela me faisait plaisir. Il accepta de me laisser le faire le lendemain pour essayer et juger s'il y avait vraiment une différence de qualité entre un sandwich de la veille et un du jour même. A son visage le lendemain soir lorsque je l'interrogeai, je compris qu'il y en avait bien une, même s'il continua à protester pour la forme. Je réussis finalement à le convaincre et préparais désormais son sandwich tous les matins pendant qu'il remontait achever de se préparer.

Lorsqu'il redescendait je lui tendais le sac du sandwich auquel j'ajoutais parfois une friandise. Et j'attendais qu'il s'apprête à partir pour lui souhaiter une bonne journée. J'avais toujours trouvé triste de partir seul d'un foyer, sans personne pour vous accompagner sur le pas de la porte et vous encourager à vivre pleinement la journée.

Une fois Steven parti je passais une vingtaine de minutes à remettre la cuisine en ordre : les « lève-tôt » n'étaient en général pas très motivés pour nettoyer derrière eux le matin et même, faut-il le dire, le reste de la journée.

Le seul à être parfois pris de frénésies de nettoyage était Jack, étrangement. Je n'aurais pas spontanément pensé qu'il se préoccupe de l'état de la maison mais je me trompais. Il aimait vivre dans un minimum d'ordre et de propreté et nous montra un jour de manière spectaculaire qu'il en avait assez de se charger seul de tout cela, maintenant que Nadia n'était plus là.

La veille, Martin et moi avions déjà senti un certain malaise lorsque, alors que nous prenions tous deux notre petit-déjeuner, nous avions vu Jack arriver en état « saut du lit » - nous étions samedi matin et avions tous fait une grasse matinée plus ou moins longue. Sa réaction un peu extrême à la vue de ses affaires propres sorties de la machine à laver sans sa permission nous étonna. Nous nous sentîmes coupables quelques minutes mais passâmes rapidement à autre chose. Je partis bientôt rendre visite à une amie qui habitait dans une banlieue lointaine de Londres. Nous discutâmes toute la journée et je lui vantai les qualités émérites de mes colocataires, lui racontant les petites anecdotes de notre complicité maintenant bien établie.

Lorsque je rentrai le soir peu avant minuit, je trouvai la maison vide : ils devaient tous être sortis profiter de leur samedi soir. Même fatiguée et ne pensant qu'à aller dormir, cette maison silencieuse me pesa. C'était la première fois que je me retrouvai seule un soir et je sentis mes fantômes revenir. J'avais pourtant réussi à les tenir éloignés depuis mon arrivée. Mais la solitude me faisait prendre conscience de la fragilité de notre groupe. Ils avaient tous une vie en dehors de la maison, en dehors de moi. J'aurais mille fois préféré qu'ils restent ici et que nous passions une soirée comme celles que nous passions d'habitude.

Une maison à LondresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant