• CHAPITRE TRENTE HUIT •

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Le bruit des vagues qui viennent caresser la plage me ramène à l'instant présent. C'est pour moi l'heure de m'en aller, mais je ne suis pas triste car le départ est un moment que j'apprécie tout particulièrement. Chaque adieu est empreint d'une promesse de retour. Un retour vers ce lieu paisible qui m'apporte tant sans jamais rien exiger de moi. Une chose est certaine, chaque fois que je repars d'ici, je suis un peu plus transformé que la fois précédente. Une pensée se glisse dans mon esprit, telle une lueur d'espoir secrète : un jour, peut-être, aurais-je l'occasion de faire découvrir cet endroit à ma petite ballerine...

***

« Elle n'a pas réussi ». Ces mots me frappent comme un coup de poignard. Non... Je fixe l'écran de mon téléphone, l'esprit en ébullition. Cette nouvelle est plutôt brutale. Je n'aurais pas dû demander à Éric d'enquêter sur le sujet. J'ai privé Angelina de son droit de me l'annoncer elle-même... ou non d'ailleurs. Que lui dirais-je de toute façon ? Réconforter les gens n'est pas mon fort et puis je doute qu'elle apprécie m'entendre déclarer que seul l'échec permet un réel apprentissage dans la vie. Mais c'est pourtant vrai. Plus dure est la chute, plus grande est la consécration. Je me remémore toutes les fois où j'ai trébuché, toutes les portes qui m'ont été fermées au nez, tous les refus que j'ai essuyés. Malgré tout, je me trouve aujourd'hui à la tête d'un empire que j'ai moi-même bâti de mes propres mains, sans l'aide de personne. Rien ne m'a été donné, j'ai agrippé la vie à pleines mains et j'ai tenu le cap contre vents et marées. Néanmoins, je peux sans peine imaginer son désarroi. La Juilliard n'est pas une petite affaire après tout. J'espère que ce revers la forcera à puiser en elle des ressources insoupçonnées pour apprendre à se relever et à persévérer. J'ai comme la sensation que cette épreuve sera soit le catalyseur qui nous rapprochera, soit celui qui nous éloignera définitivement.

***

J'ai passé près d'une semaine à tenter de la retrouver. Je comprends qu'elle ait eu besoin de solitude après la déconvenue lors de son audition, mais une semaine entière sans la moindre trace d'elle... Sérieusement ? Éric s'est rendu chez elle, dans son école de danse et sur ses différents lieux de travail, mais en vain. J'ai éprouvé une légère réticence à accéder à sa demande de fouiller dans ses mouvements bancaires jusqu'à finir par céder. Comment diable vais-je pouvoir expliquer à la ballerine cette recherche intrusive ? Peu importe de toute façon, le mal est fait. J'y réfléchirai en temps voulu, quitte à m'excuser platement. Tout ce que je souhaite pour le moment c'est m'assurer qu'elle va bien. Les souvenirs de ma relation passée avec Judith, qui s'est terminée de manière chaotique, me reviennent en tête depuis des jours au point où je n'en dors presque pas la nuit. J'ai appris à mes dépens que le désespoir peut mener à des décisions impulsives et inconsidérées. Quel que soit le statut de notre relation, je ne veux pas répéter les mêmes erreurs, même si cela signifie devoir prendre des mesures drastiques pour la retrouver. Pourquoi a-t-elle disparu aussi longtemps ? Est-elle en colère contre moi ? Ou a-t-elle simplement besoin de temps pour elle-même ? Je me torture l'esprit avec toutes sortes de scénarios possibles depuis mon retour.

***

— Bonsoir Monsieur. Vous souhaitez faire une réservation ?

Le réceptionniste me salue poliment, mais je suis trop préoccupé pour être cordial en retour.

— Bonsoir, non. Je suis à la cherche une femme qui loge ici. Son nom est Angelina Carter. Pouvez-vous me dire dans quelle chambre elle se trouve ?

Ma voix est empreinte d'urgence et d'exaspération, mais il reste imperturbable et professionnel lorsqu'il me répond.

— Monsieur, je suis navrée mais nous ne sommes pas autorisés à divulguer des informations sur nos clients.

— Je comprends parfaitement, mais elle a disparu depuis plusieurs jours et je suis sûr qu'elle est dans votre établissement.

Ma frustration atteint un nouveau niveau et je dois retenir avec peine la colère qui menace de déborder. Cela fait à peine une minute que j'ai mis les pieds ici et je sens déjà le monstre qui gronde en moi pour se faire entendre. Je ne sais même pas pourquoi je suis aussi agacé.

— Monsieur, je comprends vos inquiétudes, mais notre politique de confidentialité est assez stricte en la matière. Je ne peux donc pas vous donner cette information. Essayez d'appeler votre amie, poursuit-il avec un calme exaspérant.

— Me prenez-vous pour un imbecile ou l'êtes-vous vous même ?

— Pardon ?

— Je présume que c'est donc l'option numéro deux.

Ma réplique est cinglante, mais une fois encore il ne se laisse pas démonter.

— Monsieur, je crois que vous ne comprenez pas que je ne suis pas en mesure d'accéder à votre requête. Ne me forcez pas à appeler les forces de l'ordre, me rétorque-t-il d'un ton ferme.

Ma patience vole en éclats et la colère qui bouillonne en moi en devient presque douloureuse. J'aurais dû laisser Éric ou même Ethan gérer cette situation à ma place !

— Quant à vous, ne me forcez pas à racheter cet hôtel et à y mettre le feu étage par étage pour la retrouver.

— J'appelle mon directeur ! s'exclame-t-il en se dirigeant vers le téléphone.

— Enfin une décision sensée ! je lui lance d'un ton méprisant.

Il ne faut pas plus de deux minutes au directeur de l'établissement pour nous rejoindre. Sa mine renfrognée change du tout au tout lorsqu'il m'aperçoit.

— Monsieur Reed ! s'écrie-t-il en tentant de me serrer la main.

Je reste de marbre, car je n'ai pas le temps pour ce genre de mondanités et je contemple avec dédain son bras qui retombe mollement le long de son corps.

— Et vous êtes ? je lui demande d'une voix dure.

— Alexandre Dubois. Je suis le directeur de cet établissement, me répond-il en balbutiant, visiblement décontenancé par mon attitude.

— Nous connaissons-nous, Monsieur Dubois ?

— Oh non ! s'amuse-t-il, embarrassé. Je ne vous connais pas... Je... Nous ne nous connaissons pas vraiment.

Un, deux, trois, quatre... Je compte mentalement pour garder mon calme, mais la situation m'échappe de plus en plus. Combien peut valoir un hôtel comme celui-ci après tout ?

— Cela dit, vous êtes plutôt connu ! Même dans le milieu de l'hôtellerie. Ce n'est pas vous d'ailleurs qui aviez fait récemment l'acquisition de l'hôtel place de... tente-t-il de converser avant que je le coupe.

— Monsieur Dubois, je suis pressé.

— Voyons, appelez-moi Alexandre ! Peter, accordez la meilleure chambre à Monsieur Reed, je vous prie !

— Pas besoin, je viens juste rejoindre une amie, je réponds d'un ton cinglant.

— Oh ! je vois, glousse-t-il.

Tous les gens me tapent sur les nerfs et il ne fait pas exception à la règle malgré les changements qui se sont opérés en moi ces dernières semaines. Sa bonne humeur m'irrite à un point incroyable. Je visualise mon poing qui s'écrase sur son visage, mais cela ne me calme pas pour autant.

— Bien sûr, bien sûr ! Comment s'appelle votre amie ?

Je me contente de lancer un regard fulgurant au réceptionniste, qui ne se fait pas prier pour me donner la réponse cette fois-ci.

— Madame Carter est dans la chambre cinquante-deux. Cinquième étage, troisième porte à droite.

Je ne me donne même pas la peine de les remercier. Je suis exaspéré et prêt à exploser. Peut-être que rejoindre la ballerine dans cet état n'est pas une idée si brillante après tout.

BALLERINAWhere stories live. Discover now