La Glace dans le Sang

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Janvier 2014
Nord Est de la Russie

L'hiver emprisonnait la nuit de ses longues griffes argentées. Dans le ciel, la lune blême dardait la surface glacée du lac Ladoga de reflets hypnotiques. Le murmure du vent soufflait dans un silence seulement rompu, parfois, par le bruit des branches craquant sous le poids de la neige ou le cri lointain d'un animal nocturne.

Nulle âme n'habitait cet endroit, s'il n'était, sur les rives du lac, un chalet aux murs en bois brut, contrastant avec la blancheur environnante. Une lueur chaude filtrait au travers de ses volets clos. Et sur le perron extérieur, une lanterne éclaboussait l'ombre d'une jeune silhouette assise sur des marches couvertes d'une fine pellicule de givre.

La jeune femme avait moins de vingt ans. Elle était vêtue d'un chandail épais, d'un anorak molletonné, sans manche, et d'un bonnet de laine coloré.

Elle acheva de lacer ses patins à glace et s'éloigna à pas prudents du chalet, en direction du lac. Ses lames de métal s'enfonçaient dans la neige rigide.


Lorsqu'elle prit pied sur la surface du lac, le froid piquant la fit frissonner. Des flocons de neige tombaient doucement, dans un ballet silencieux, conférant à la nuit une tonalité mystérieuse. Juste comme elle l'aimait.

La patineuse s'élança de quelques enjambées pour s'éloigner du bord. Son souffle se matérialisait par de courts traits de buée blanche, la glace crissait sous le métal de ses patins. Tout en admirant l'immensité du paysage, elle ne put s'empêcher de se remémorer cette légende... Pendant la seconde guerre mondiale, des chevaux de l'armée russe s'étaient enfuis vers le lac afin de fuir un incendie de forêt. En pénétrant dans l'eau, l'agitation de leurs crinières provoqua la solidification du lac, et ils se retrouvèrent prisonniers des eaux glacées.

La patineuse ignorait si cette histoire était vraie, mais s'imaginer un champ de bustes de chevaux pétrifiés de froid au coeur de l'hiver russe ne faisait qu'abreuver son imagination débordante.

Elle prit de la vitesse, dévoilant des capacités très supérieures à ce qu'un individu quelconque aurait pu décrire. Sa rapidité, son aisance, la fluidité de ses gestes, la perfection des courbes et de ses mouvements, tout concordait à la désigner comme une reine de la glace, tant en terme de grâce que de capacités athlétiques.


Au fur et à mesure qu'elle progressait, les arbres du rivage s'éloignaient, et la lueur des étoiles s'atténuait dans le ciel.

La surface du lac était si limpide qu'elle ressemblait à un miroir. Ni protubérance ni vaguelette ne venait assombrir sa texture. Seuls les flocons de neige aux myriades de branches étoilées venaient la parsemer, en se posant ci et là, délicatement.

Sur cette glace immaculée, les crissements à la fois cristallins et métalliques des patins de la jeune femme étaient autant de secousses qui se propageaient dans les profondeurs. En dessous, le monde était froid et silencieux. Dans ce royaume inférieur, qui paraissait être l'envers du décor au sein duquel évoluait la patineuse, régnait le sommeil, l'inertie. Nul souffle de vent, nul éclat de lune, nul cri d'animal, nulle lumière... si ce n'est, tout au-dessus, la fine surface argentée du lac, teintée par les lueurs de la lune.

La patineuse accélérait le rythme, jaillissant de plus en plus haut, plus vite et plus loin, comme pour se distancer elle-même. Seule face à sa propre vélocité, elle n'écoutait plus que son exaltation, sans se soucier de l'obscurité croissante ni des vents changeants.

Milan Lazsco : La Dette [E4 Quadrilogie du vampire] en  coursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant