Chapitre 27 - Matera : Hommage et mise à nu (partie 1)

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Cette nouvelle nuit avec Stella est d'autant plus troublante. L'incident du restaurant n'arrête pas de tourner en boucle dans ma tête. Mon fort intérieur me crie qu'il y a quelque chose entre nous, que je ne suis pas le seul à le voir, mais une autre part de moi, plus rationnelle, hésite encore.

On ne voit que ce que l'on a envie de voir, pas vrai ? C'est évident que Stella me plaît. Alors, par réflexe, mon cerveau retient ce qui l'intéresse pour me conforter dans cette direction. C'est bien connu, il n'y a rien de pire que les hormones pour nous dépourvoir de toute objectivité !

Pétri de doutes, je n'ai cessé de tourner dans mon lit, mes mille et une questions me poursuivant dans des rêves décousus et angoissants. Je me voyais courir pour rattraper un avion et, au moment du décollage, m'apercevoir que non seulement Stella, mais aussi toute ma famille étaient dedans. Debout sur la piste, je les regardais s'élever dans les airs d'un air impuissant. Et là, dans le ciel, je voyais le portrait de mon ancêtre, Eusevio, se dessiner comme une gravure de Saint. Il me fixait d'un air déçu et secouait la tête en disant : « il te reste encore quelque chose à faire, Samuel... ».

C'est sur cette vision étrange que je me réveille en sursaut. Mon front ruisselle de sueur. Encore troublé, je me redresse en tentant d'apaiser ma respiration altérée. À côté de moi, Stella me fixe d'un air inquiet.

— Est-ce que tout va bien, Samuel ? Tu as fait un mauvais rêve ?

J'expire, comme pour évacuer toute la tension de ce songe agité.

— Il est temps que j'aille rendre hommage à Eusevio.

* * *

Le complexe de San Sebastián, qui comprend une église et un ancien couvent, semble avoir été édifié au milieu de nulle part. Érigé sur des roches aux teintes chaudes, il est entouré de restes d'anciens habitats troglodytes, dont seuls persistent quelques ouvertures béantes et murs délabrés. Le silence qui pèse sur les lieux leur donne un côté cérémonial.

Avant même de pénétrer dans le bâtiment, je me sens différent. Je crois que le fait d'avoir conscientisé que j'allais rendre cet hommage m'a plongé dans un état d'introspection. D'autant plus que ce moment de recueil, je ne pense pas le dédier uniquement à Eusevio. Il y a une autre personne décédée, dont l'histoire m'affecte encore beaucoup.

Nous commençons par la visite du couvent aujourd'hui inhabité, qui s'articule autour d'un cloître dans lequel nous pouvons déambuler. Des allées bordées de colonnes enserrent un petit jardin où la végétation a depuis longtemps repris ses droits. C'est étrange de sentir l'âme d'un lieu pourtant dépourvu de vie.

Notre parcours s'achève sur l'église de Saint-Sébastien, dont je pousse la lourde porte. Comme partout depuis que nous sommes arrivés, le silence règne en maître. J'effectue un signe de croix avant d'esquisser quelques pas, le regard à l'affût.

La nef, caractérisée par de larges voûtes en pierre, est plongée dans une pénombre mystérieuse. Seule une faible lumière perce à travers les vitraux pour en éclairer certaines parties. J'avance le long de l'allée centrale, dépassant quelques bancs déserts alignés de part et d'autre. Le chœur apparaît de plus en plus distinctement. Je remarque des gravures sur l'autel, ainsi qu'un crucifix et des statuettes disposées tout autour.

Face au chœur, je marque une pause et ferme les yeux. Le portrait d'Eusevio, que j'ai aperçu dans mon rêve, ne me quitte plus. J'ai l'impression qu'il est gravé sur ma rétine. Pris de culpabilité, je tente d'y juxtaposer celui de Diego, mais rien à faire. Bien que j'aie vu sa photo des centaines de fois, dans des cadres ou des albums à la maison, mon cerveau refuse de le visualiser.

Samuel et l'air de l'incertain [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant