Chapitre 11 - Milan : Prise de conscience

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— Samuelito !

Affalé sur l'un des poufs de la salle commune, je souris en reconnaissant la voix de ma grand-mère adorée à travers l'oreillette de mes écouteurs.

Abuela ! Comment ça va ?

— Oh, bien, comme toujours. Mais toi, alors, raconte-moi ! Comment se passent ces premiers jours en Italie ?

Au vu de toutes les anecdotes qui se bousculent déjà dans ma tête, je réalise que je n'ai pas chaumé depuis mon arrivée.

Finalement, après cette nuit peu reposante (je ne crois pas avoir réussi à fermer l'œil plus de trente minutes consécutives), nous avons terminé notre randonnée pour rentrer à Milan en fin de journée. De retour dans notre auberge préférée, bien évidemment. Après le camping sauvage en pleine forêt, l'idée de retrouver les portraits de chats astronautes et monarques était plutôt rassurant.

— Bien, abuela, bien. Ce n'est pas toujours facile, je ne te le cache pas, mais je m'en sors... D'ailleurs, figure-toi que j'ai réalisé un premier défi !

— Mais non, déjà ? Lequel ? Ne me dis pas que c'est celui de l'amour sous les...

En devinant le sourire narquois qui se dessine derrière sa voix rauque, je coupe court net :

Bendito sea Dios, non.

— Bon, lequel c'est, alors ?

— Celui du camping autour du lac de Côme.

— Oh, vraiment ? Bravo ! Je ne pensais pas que ce serait ton premier. Ce n'est pas le plus simple...

— Non, en effet, surtout quand on sait que le camping sauvage est interdit en Italie. Mais bon, ça s'est fait grâce à un ami, Ethan. Il était plutôt motivé pour y aller et s'y connaissait en randonnée, alors j'ai accepté de le suivre.

— C'est super, Samuelito, vraiment. Ce sont ces rencontres qui font toute l'essence d'un voyage. Tu verras, cet Ethan ne sera pas le seul allié que tu trouveras au long de ton périple.

J'acquiesce, attentif comme toujours aux mots de Dionisia.

— Et alors, le lac de Côme, comment c'était ?

En repensant à l'immense étendue bleu azur qui serpentait entre les montagnes, je laisse échapper un petit sourire rêveur.

— C'était magnifique, abuela. J'aurais aimé que tu sois là pour le voir.

— Eh bien, heureusement que maintenant, vous avez des smartphones ! J'espère que tu as pensé à prendre des photos. N'oublie pas qu'elles te permettront de nous partager toutes tes aventures, lors de ta fête de retour.

Ses paroles me renvoient à cette fameuse célébration prévue à chaque fin de voyage, où la projection d'un diaporama permet de partager ses anecdotes et ses apprentissages avec le reste de la famille. Je n'ai eu l'occasion d'y participer qu'une fois, lors de la fête de retour de l'un de mes grands cousins, mais je me souviens que j'avais adoré. C'était une manière pour moi de prendre part à l'aventure. Je sais que mes frères et sœurs, qui sont très proches de moi, l'attendent avec encore plus d'impatience.

— Des photos... Euh, oui, bien-sûr.

Je révise la galerie de mon téléphone tout en parlant et, sans grande surprise, n'y trouve rien. Heureusement, il me semble avoir vu Ethan prendre des photos avec son propre téléphone. Je n'aurais qu'à les lui demander.

Moi qui n'ai pas l'habitude d'immortaliser les scènes marquantes que je vis, il va falloir que j'apprenne à adopter ce réflexe.

— En tout cas, je suis soulagée, Samuelito. Tu sembles tellement plus apaisé que lorsque je t'ai vu partir...

Les paroles de ma grand-mère ne m'étonnent pas vraiment. Difficile de faire pire que lorsque l'on est à deux doigts de la crise de nerfs...

— En fait, tu sembles même... Heureux.

J'ouvre déjà la bouche pour contester, presque par réflexe, mais les mots ne sortent pas. Je réalise alors, à mon grand étonnement, que ma grand-mère a réussi à déceler ce que moi-même je ne parvenais pas à voir avec clarté.

C'est vrai. Je me sens bien.

Dionisia, qui n'attend visiblement aucune confirmation de ma part, poursuit :

— J'ai vu les petits, aujourd'hui. Ils m'ont dit qu'ils t'avaient eu hier et te passent le bonjour.

Par les petits, je sais qu'elle parle de mes frères et sœurs - même si Daniela a déjà seize ans. Je pense qu'elle continuera à les appeler comme ça même dans des décennies.

— Ah, c'est bien. Tu le leur passeras aussi, hein ?

— Avec plaisir. Ils sont tous très impatients de te voir relever les défis et d'entendre tes aventures, tu sais.

En imaginant leurs petites têtes curieuses, un sourire étire spontanément mes lèvres. Ils me manquent, mais je sais qu'elle a raison. Je n'ai pas mis mon rôle de grand frère en pause en quittant le foyer familial.

Moi qui avais jusque-là plutôt du mal à cerner l'intérêt de cette liste, je crois que je commence à comprendre. Au-delà de la tradition familiale à respecter, j'ai un exemple à donner à mes frères et sœurs. Des leçons à leur partager, à travers l'expérience que je me serai forgée ici.

Alors, dans un souffle, je déclare :

— J'ai hâte aussi de leur partager tout ça, abuela.

* * *

Revigoré par cet appel, je retrouve Ethan pour un manger un bout en ville. Nous nous promenons et finissons par nous laisser tenter par un stand à la devanture chaleureuse qui propose des pizzas à la part. Leur aspect plutôt dépouillé ne rend pas justice à leur saveur incroyable, mêlant des ingrédients qui ont été choisis avec soin.

Jugeant sans doute ce moment comme propice aux grandes décisions, je déclare, entre deux bouchées :

— Bon, Ethan, c'est décidé : à présent, je vais suivre les objectifs de ma liste au sérieux.

Intrigué, mon voisin me toise en arquant un sourcil.

— Parce que tu ne comptais pas le faire ?

— Je crois qu'une part de moi se disait toujours que j'arriverais à esquiver la chose en n'en suivant que quelques uns et en brodant autour du reste.

— Ça alors... Je n'aurais pas pensé que quelqu'un d'aussi respectueux de l'ordre public puisse aspirer à braver les règles de la sorte.

— La peur est puissante, Ethan... Je commence à comprendre qu'elle peut nous faire aller à l'encontre même de nos propres principes. Et je n'ai pas envie qu'elle ait ce pouvoir sur moi.

— Waouh ! C'est mon Sammy qui dit ça ! Que de chemin parcouru depuis notre première rencontre...

En repensant à cette fameuse soirée dans les urinoirs, je ne peux pas m'empêcher de rire. Je réponds alors au sourire taquin d'Ethan en lui assénant une tape sur le bras.

— Je vais me laisser demain pour profiter de la ville, puis je prendrai la route des Cinq Terres.

Ma déclaration me vaut un regard curieux de mon ami.

— Les Cinq Terres ? Quel est l'objectif que tu vas relever là-bas ?

— Je vais à Monterrosso al Mare pour la fête patronale de San Giovanni Battista. Elle commence dans quelques jours, alors c'est maintenant ou jamais, et comme nous ne sommes pas loin...

— Chouette, commente Ethan en acquiesçant.

Il laisse planer un silence de quelques secondes, avant de déclarer à son tour :

— Tu sais quoi ? Je te suis.

Samuel et l'air de l'incertain [Terminée]Where stories live. Discover now