Chapitre 7 - Milan : Errances nocturnes

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Après cette rencontre insolite, je passe la nuit à déambuler dans les rues de Milan avec Ethan.

Si j'ai dormi l'équivalent d'une nuit entière cet après-midi, je doute que mon camarade, lui, ait fermé l'œil. Pour tout vous dire, je le soupçonne de m'avoir croisé au moment où il rentrait à l'auberge. Cela dit, au vu de ce que j'ai commencé à cerner, ça ne m'étonnerait pas qu'il ait renoncé à son lit pour passer la nuit à discuter avec un inconnu. Décision qui me semble complètement folle et inconcevable, mais de ce que je vois, ce type semble prêt à cueillir le moindre évènement qui s'offre à lui.

En tout cas, je ne peux que remarquer le tournant inattendu de cette rencontre. Si ma discussion avec Bob le vacancier n'était pas partie du meilleur pied, force est de constater qu'il est parvenu à ouvrir une petite porte en moi. Je ne sais pas quel est son secret, mais quelque chose en lui me pousse à me confier. Assez naturellement, j'en viens à lui partager des anecdotes sur ma vie, ma famille, et même certaines de mes craintes.

— Dis-moi, Samuel... Quel a été le plus grand frein à ton voyage ?

Sa question plane quelques instants dans l'air tiède de la nuit.

Tout autour de nous, les rues de Milan sont ceinturées de hauts bâtiments à l'aspect homogène. Les façades sont parées de lumières exacerbant le moindre relief, des bossages du rez-de-chaussée aux balustrades des balconnets, en passant par les statues incrustées dans les pilastres. Il y a tant à voir que je me sens parfois submergé par la richesse de ces décorations.

Je repense alors à mon humble quartier, en Colombie, et à ses demeures si sobres. Il semble logique que je sois fasciné par un décor si différent de celui que je connais, mais ce sentiment sera-t-il toujours là dans trois semaines ? Un an ? Au bout de combien de temps finit-on par cesser de nous émerveiller de l'environnement qui nous entoure ?

— La plus grande difficulté que j'aie eue à surmonter est le fait de devoir quitter ma famille. D'ailleurs, pour être totalement honnête avec toi, être loin d'eux me fait encore de la peine.

Ethan acquiesce d'un air attentif.

— Ça te fait de la peine... Intéressant. Tu ne dis pas qu'ils te manquent ou que c'est inhabituel pour toi, mais que ça te fait de la peine.

— Et alors, qu'est-ce que ça change ? C'est un peu du pareil au même.

— Les mots qu'on emploie sont assez révélateurs, en général. Qu'est-ce qui te cause tant de peine, dans le fait d'être loin d'eux ?

Je prends une longue inspiration.

— Je suis l'aîné d'une fratrie de cinq enfants et j'ai toujours veillé sur mes frères et sœurs. Entre mon père, qui se tue au travail, et ma mère, qui passe sans arrêt d'un état émotionnel à l'autre, on n'avait pas forcément toujours un adulte sur lequel compter. Alors, très vite, j'ai commencé à endosser la casquette du parent responsable.

— Même si tu n'étais qu'un enfant...

— Je crois que je voulais éviter à mes frères et sœurs de vivre la même chose que moi.

— C'est-à-dire ?

— De devoir être livrés à eux-mêmes trop tôt.

Ethan acquiesce en silence.

— C'est certainement ce qui explique mon côté très protecteur... Mais aussi mon penchant rationnel et terre à terre. D'ailleurs, je dirais que c'était mon deuxième frein majeur. Le fait de devoir quitter ma zone de confort.

— Oh, ça, c'est normal. On a tous cette crainte, si ça peut te rassurer. Ce n'est pas pour rien que la zone de confort s'appelle ainsi... Par définition, c'est un endroit où l'on a envie de rester.

Samuel et l'air de l'incertain [Terminée]Where stories live. Discover now