Chapitre 22

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Mon sang se glace instantanément dans mes veines tandis que je me fige devant le bar sans broncher. Comment... comment m'a-t-elle reconnu ? Ma perruque est bien fixée sur ma tête, mon visage est parfaitement maquillé et camouflé. Pierre-Alain et Alicia ne m'ont pas du tout reconnu eux alors qu'ils me voient tous les jours au lycée ! Comprenant que quelque chose est en train de se passer, les yeux de Madge passent de Lucie à moi, en quête d'une explication. Elle finit par retourner à ses cocktails d'un air grognon en marmonnant "ah ces jeunes qu'est-ce qu'ils ont dans la tête...?".

— Mais enfin Raph pourquoi est-ce que t'es dégui...

Elle ne finit pas sa phrase que je plaque ma main devant sa bouche avant que tous les clients aux alentours ne l'entendent. Sans perdre une seconde, je la soulève quasiment du sol et l'emporte précipitamment avec moi jusque dans les toilettes pour dames, ignorant certains regards interloqués mais visiblement ravis du spectacle.

Je nous entraîne dans une cabine et ferme le verrou après nous. L'espace étant très étroit entre le trône et la porte, nous sommes quasiment collés l'un à l'autre. Furieuse, Lucie mord ma main fermant toujours hermétiquement ses lèvres.

— Aïe ! je m'écrie en libérant instantanément sa bouche.

— T'es complètement taré ma parole ! Pour qui tu te prends de me kidnapper comme ça ?!

— C'est toi qui allais te mettre à crier que je suis déguisé ! C'est la seule solution que j'ai trouvé ok ?

— Non c'est pas ok ! Et puis d'abord c'est quoi ce cirque ? Tu vas me dire que personne n'a remarqué que t'es un garçon ?!

— S'il te plaît est-ce que tu pourrais parler moins fort... je t'en prie Lucie, il ne faut pas que ça se sache...

Mon ton a du paraître assez désespéré pour qu'elle se calme, abandonnant sa posture d'énervement pour rabbattre le clapet des WC et s'asseoir dessus, plongeant ses yeux noirs droit dans les miens.

— Explique-moi alors ? demande-t-elle sans crier.

Je tripote nerveusement mes longs cheveux lisses, mon coeur battant à mille à l'heure à l'idée que quelqu'un d'extérieur au staff du club connaisse à présent ma double identité. Les parois de l'étroite cabine de chiotte semblent se mouvoir jusqu'à se refermer autour de moi. Un clapoti d'eau provenant du robinet voisin ne cesse de jeter des "plocs" incessants tandis que je rassemble mes esprits pour répondre.

Je lui raconte alors tout depuis le début, nos problèmes financiers, les loyers en retard, le frigo presque vide, les horaires de dingues de maman et la métamorphose de Camille, si triste d'être privée de celle qui compte tant pour elle. Je lui explique le refus catégorique de ma mère de me voir exercer un emploi l'année du bac, puis mes recherches secrètes d'un boulot que j'avais décidé de faire coûte que coûte malgré son véto. Je lui parle de mon entretien d'embauche au club, comment Cynthia m'a ri au nez en me disant qu'il n'y a que des femmes qui sont autorisées à travailler ici car c'est leur marque de fabrique et qu'ils ne peuvent pas faire d'exception.

— Et c'est là que la patronne est arrivée, m'a examiné et m'a transformé en fille en disant qu'elle voulait absolument me recruter.

Lucie m'écoute jusqu'à la fin sans broncher. Lorsque je termine mon discours, je me sens complètement vidé, mais étrangement, l'anxiété qui me ronge depuis plus d'un mois s'est atténuée. Elle passe sa langue sur un de ses piercings au coin de ses lèvres, un tique que j'ai remarqué qu'elle avait souvent.

— C'est un putain de bordel ta vie, dit-elle en rejetant la tête en arrière dans un grand soupir.

Je retiens un rire.

La double vie de Raph'Where stories live. Discover now