Chapitre 8

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Je rêve. Je rêve que je vole au dessus d'un océan de couleurs, que des poissons aux écailles améthystes font des bonds gigantesques juste sous mes yeux. Je suis plein de légèreté, brillant, comme une comète filant à travers le cosmos. Ma peau se désagrège, mon enveloppe charnelle me quitte et alors, je deviens moi-même une couleur, vive, tournoyante dans cet univers aux confins infinis, kaléidoscope hypnotique réveillant la frénésie céleste...

« ...Bonjour à tous, nous sommes mardi vingt-quatre septembre, il est neuf heures trente, la météo du jour promet d'être tout aussi ensoleillée qu'elle ne l'a été toute la semaine, n'oubliez pas votre crème solaire...! »

Je laisse échapper un grognement de rage en tapant du poing sur mon radio-réveil pour le faire taire. Quatre minuscules heures de sommeil qui sont passées en un clin d'œil, c'est vraiment pas assez... Heureusement que je commence plus tard ce matin. Mes draps sont si chauds, si confortables... mon lit, si moelleux... Je suis tellement bien, que je n'ai envie de me lever pour rien au monde. C'est ma mère qui emmène Camille à l'école le mardi et le vendredi, les deux jours où mes cours ne débutent pas à huit heures, donc je n'ai aucune obligation ce matin, je n'ai qu'à me rendormir...

Non, c'est pas très sérieux Raph, il faut que j'aille en cours, j'ai déjà assez de mal à suivre comme ça et les profs m'ont dans le collimateur. Merci voix de la raison, des fois j'aimerais vraiment que tu la fermes.

Après un bâillement à m'en décrocher la mâchoire, je m'extirpe difficilement de mon nid douillet, vêtu uniquement de mon caleçon. Une bonne douche devrait me remettre les idées en place. J'ai toujours du mal à revenir sur terre après une nuit au club et la nuit d'hier était particulièrement mémorable, comme j'aurais aimé continuer à danser encore et encore... Ne travaillant que trois nuits par semaine, il me faut attendre jeudi soir pour y retourner. C'est dans une éternité.

Le miroir de la salle de bain me renvoie l'image d'un garçon banal, mince et fatigué. En me voyant ainsi, personne ne pourrait jamais deviner que quelques heures plus tôt, j'étais la belle Lana, sûre d'elle et charismatique sur scène. Attention, je m'apprécie tout autant dans ma peau de Raph et n'aimerais pas spécialement changer d'identité. J'aime simplement le piment de ma vie au club et laisser mon sens artistique s'exprimer sans retenue. Et puis, mes collègues sont sympas, enfin, sauf Cyntia. Je ne l'aime pas trop, elle ne rigole jamais, on dirait qu'elle est un peu frustrée de la vie.

L'eau chaude me fait effectivement beaucoup de bien, je reste profiter de sa douce étreinte un long moment, somnolant légèrement. Lorsque la salle de bain se change en hammam, je me dis qu'il est temps de sortir.

Séché et habillé, la cuisine appelle mon ventre criant famine. Oh et un café. Il me faut un café. L'année dernière encore, je n'aimais pas ça, je trouvais que cette boisson avait un horrible goût amer à en vomir. Mais cette année, avec toute la fatigue provoquée par mes activités, scolaires et hum extra-scolaires, disons que j'ai appris à apprécier ce précieux breuvage énergisant et j'en suis maintenant complètement accroc.

Sur la nappe dorée de la table de la cuisine, un petit mot attire mon attention, posé tout contre le pot de fleurs.

« Raph,
Ce soir exceptionnellement je devrais être rentrée pour vingt heures, ne t'embête pas à préparer le dîner, je ramènerai une pizza. Ça serait bien qu'on profite de la soirée pour discuter un peu, j'espère que tu n'as rien de prévu avec tes amis.
Bonne journée mon chéri.
Maman.
PS : Camille m'a dit que tu lui as promis des chips comme elle s'est bien comporté hier. Un jour elle te fera promettre un ours polaire si tu ne fais pas attention.»

Cette dernière phrase m'arrache un sourire. Woaw, maman qui va passer la soirée à la maison, ça n'était pas arrivé depuis le départ de papa. Je me demande de quoi on va bien pouvoir parler, ça fait des mois qu'on ne se dit plus rien, qu'on ne se voit qu'en coups de vent certains matins ou certains soirs juste avant qu'elle ne s'écroule de fatigue dans son lit. Je suis impatient de passer du temps avec elle bien sûr, mais j'appréhende aussi un peu.

Rassasié et avec une bonne dose de caféine irradiant mes veines, je me mets en route pour le lycée.

Devant les hautes grilles vertes terminées par des piques meurtrières, séparant ce lieu de savoir et de culture (haha) des boulevards parisiens animés, je retrouve Hugo, seul, guettant les rues avec impatience aux côtés d'un groupe de lycéens fumeurs, rendant l'endroit empli d'une brume opaque malodorante. Pour une fois, je suis en avance. Je n'arrête pas de bâiller certes, mais je suis en avance. D'ailleurs, Hugo ne semble pas en croire ses yeux non plus, à moins que cette moue à mon approche ne témoigne simplement du fait que je ne suis pas la personne qu'il espérait voir le rejoindre.

— Ça va mec ? demande-t-il sans conviction.

Mon hypothèse semble se confirmer.

— Ouais. Ce soir ma mère dîne avec nous pour la première fois depuis des siècles.

— C'est cool ça. Vous allez enfin causer.

— Oui... je sais pas si je dois mettre le sujet du divorce sur le tapis.

— Ça te concerne aussi alors ouais je pense.

— Peut-être...

Le nuage de fumée grossit tandis que d'autres lycéens accostent, les discussions vont bon train, couvertes par le son des voitures pressées.

— Dis Raph... est-ce que je peux te poser une question sans que tu te foutes de ma gueule ?

— Vas-y.

Il a l'air gêné, avec son regard fuyant.

— Est-ce que t'es déjà sorti avec une fille ?

— Non.

— Et est-ce que t'en as déjà eu envie ?

J'ai beau me creuser la cervelle, il n'y a jamais eu personne qui m'a amoureusement intéressé de toute ma vie. Surtout depuis ces derniers mois, c'est un peu le cadet de mes soucis. Il m'arrive de me sentir un peu seul, quand je vois des couples se promener avec les mains jointes, je me dis que ça doit être quand même sympa de partager sa vie, ses projets, ses secrets...

— Franchement... non.

— On a dix-huit piges, ça craint d'être puceau non ?, chuchote-t-il à toute allure.

Je vois cependant bien dans ses yeux qu'il est soulagé de ne pas être le seul à n'avoir jamais eu d'expériences.

— Pas vraiment, je suis sûr que c'est le cas de beaucoup de gens. Mais pourquoi tu me demandes ça ?

— Oh euh... pour rien... je voulais savoir si je risquais de passer pour un nul...

— Pour Assia ?

— Hein quoi ? Comment tu sais ?

Bingo !

— Parce que tu la bouffes des yeux mec.

— Ah...

— Mais t'inquiète, elle te trouvera pas nul pour ça. Je pense qu'elle s'en fiche.

Parlant du loup, Sam et elle ne tardent pas à nous rejoindre.

La double vie de Raph'Where stories live. Discover now