Chapitre 10

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— Et oh Raph ! proteste ma petite soeur. Pourquoi tu me tires ?

— Chut tais-toi et choisis tes chips, je lui réponds en espionnant pas très discrètement le vieux schnock entre deux conserves de tomates.

— Tu me dis pas chut ok ?

Je jette un regard distrait au monstre. Elle a fermé ses poings et pincé ses lèvres, c'est sa posture lorsqu'elle va faire sa crise. Il faut que je réagisse rapidement. Plus rapide que mon ombre, je dégaine mon portefeuille et en tire cinq francs.

— Tiens c'est pour toi, tu peux choisir ce que tu veux.

Comme prévu, les yeux du démon miniature se mettent à papillonner, tandis que la porte de l'épicerie s'ouvre, avalant une nouvelle cliente. Une belle femme à la chevelure dorée et aux courbes avantageuses. Entre mes boîtes de conserves, je ne peux m'empêcher de regarder son make-up d'un oeil professionnel, trouvant qu'elle aurait pu insister un peu plus sur le mascara pour mettre en valeur ses jolis yeux bleus. Le vieux libidineux, la mâchoire au sol, manque de tomber de sa chaise crasseuse. Je crois même apercevoir de la bave qui s'écoule sur son menton pointu, où trois poils se dressent pathétiquement.

— Tout ce que je veux c'est vrai ?

— Oui oui Camille, je réponds distraitement, trop absorbé par la scène que j'espionne.

Résultat des courses : Camille et moi sortons de la boutique avec deux paquets de chips et une barre chocolatée, la cliente blonde avec un air outragé et une marque de main sur le tissu moulant couvrant son postérieur et l'ours mal léché qui fait office de gérant, avec un beau cocard sur sa tronche de pervers. Il l'a pas volé celui-là. Mais il a l'air tellement heureux que je me demande s'il n'est pas vraiment masochiste.

Le reste du chemin jusqu'à la maison se déroule bien, dans le calme et la sérénité, le monstre étant trop occupé à dévorer ses friandises pour être agaçant. Avec sa frimousse toute barbouillée de chocolat, il en est presque mignon.

— Au fait, maman sera rentrée pour vingt heures, annoncé-je tandis que nous ôtons nos chaussures pour les ranger dans le minuscule placard de l'entrée.

Camille émet un bruit de surprise et d'excitation semblable à celui d'un avion qui décolle.

— C'est vrai ?! s'exclame-t-elle en sautant sur place.

Son bonheur quant à cette nouvelle me confirme que son comportement de ces derniers temps est bel et bien dû au fait que notre mère lui manque.

— Avec des pizzas, je précise avec un sourire en coin.

Cette fois, c'est l'explosion, ma petite soeur se met à courir partout, chanter, sauter sur le fauteuil, plonger sous la table de la cuisine, mordre les rideaux blancs. Je dois l'attraper par le col de son t-shirt et la déposer dans sa chambre pour qu'elle se calme enfin.

— Si tu faisais tes devoirs maintenant, tu pourrais profiter de la soirée avec maman, tenté-je vicieusement.

Aucune protestation. Elle hoche frénétiquement la tête en sortant ses affaires de son cartable pour les déposer sur sa petite table de bureau jaune poussin. La chambre de Camille est vraiment minuscule, il n'y a de la place que pour un lit d'enfant calé difficilement entre la fenêtre et le mur, ainsi que pour son petit bureau préfabriqué, qu'elle doit démonter et ranger sous son lit chaque fois qu'elle veut un peu d'espace pour jouer.  Et des jeux, elle n'en a pas vraiment à vrai dire. Lorsque nous avons déménagé pour nous installer ici après le départ de papa, nous savions que l'appartement serait trop petit pour ranger toutes nos précédentes affaires. La plupart ont tout bonnement fini à la poubelle. Les quelques souvenirs et jeux que nous possédons sont stockés dans le dressing de ma chambre, seul endroit de l'appartement où il y a un peu de place. 

Pendant que Camille travaille en silence, je me prépare une bonne tasse de thé à l'hibiscus et m'installe sur le canapé en position du lotus, mon bouquin d'histoire sur un genou, je décide de réviser un peu tout en sirotant le doux breuvage. Pourquoi faut-il qu'il y ait autant de dates à retenir bon sang ? Les minutes défilent, mon thé se vide, les pages se tournent, mon front se ride sous la concentration. Notre horloge murale couine, se coince de nouveau, avec son aiguille des secondes qui s'agite sur place, semblant à l'agonie avant de faire un bond de trente secondes d'un coup.  Il faut que je prenne des notes, sinon je n'arriverais jamais à retenir quelque chose. J'attrape mon sac nonchalamment posé sur le tapis au pied du canapé et en tire un bloc note et un stylo. Je gribouille, je lis, j'enlève une mèche brune de mon front, je me concentre, j'écoute le son de l'horloge qui s'étrangle une nouvelle fois. "Napoléon...".

Mes pensées dérivent, mes yeux se ferment, ma tête se pose contre l'un des coussins. Je suis au club, je sens ma longue chevelure caresser mes bras dénudés. Des gens scandent mon nom "La-na ! La-na ! La-na !". Les projecteurs m'illuminent, mon corps se meut en une danse lente et sensuelle. Des mains douces se posent sur mes hanches, accompagnant mes mouvements. En tournant la tête pour voir de qui il s'agit, je tombe sur des yeux rieurs, un sourire à fossettes et des cheveux couleur chocolat. Il est loin, trop loin, je souhaite qu'il s'approche encore. Il monte sa main jusqu'à mon visage et... me tapote les joues.

— Raph réveille-toi maman est là ! 

J'ouvre brutalement les yeux, haletant. Camille me tape les joues en sautant partout, avant de s'éloigner vers l'entrée pour accueillir notre mère qui vient tout juste de rentrer, me laissant récupérer mes esprits. Qu'est-ce que c'était que ce rêve ? Je me redresse en secouant la tête pour chasser ces images de ma tête. Pourquoi est-ce que je rêve d'un type que je n'ai vu qu'une seule fois... un homme qui plus est ? La fatigue doit probablement m'avoir assommé. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être un peu... déçu que ce rêve n'ait pas duré plus longtemps. Décidant de chasser ces sentiments étranges et ne plus y penser, je confine ces réflexions dans un recoin de mon esprit, que je m'assure de bien cadenasser. 

À triple tours.


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** ALERTE Message de Claaaeeem (toujours moi; il faut imaginer cette alerte avec des roulements de tambours hein, un truc classe) **

Vous pensez quoi de ce rêve de Raph...?

Ah.. moi et ma curiosité...

<3

La double vie de Raph'Where stories live. Discover now