Chapitre 14

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La vie dans la Périphérie est étrange. Il y fait glacial en hiver, pourtant lorsque l'été approche, il y fait trop chaud. Dans la Ville, tout est mesuré. Oui, il fait froid l'hiver, mais chaque parcelle de terrain est chauffée et lorsqu'il n'y a pas de radiateur à proximité on vous réchauffe le cœur avec des lumières et des douceurs. L'été, c'est la clim qui rafraîchit, et souffle tellement fort qu'elle apaise doucement la brûlure du goudron. Dans la Périphérie, il n'y a pas de juste milieu. Même lors des saisons dites intermédiaires, il fait froid la nuit et chaud la journée.

Mars a fini sa course, Avril a pris le relais. Skooma continue à apporter de l'eau claire au couple semaine après semaine, de manière irrégulière pour ne pas se faire attraper. Macao a nettoyé le miroir pour pouvoir y regarder son ventre grandir. Arun fabrique des décorations avec ce qu'il trouve, se permettant parfois de demander des petites folies à Skooma comme des feutres ou des tissus. C'est bientôt Pâques, alors il dessine des œufs de toutes les couleurs sur une planche de bois avant de la poser sur le rebord d'une fenêtre. On ne la verra pas de l'extérieur, mais ça enjolive l'intérieur.

La verdure lui manque. Même les mauvaises herbes peinent à se trouver un chemin, dans la Périphérie. Il est quand même parvenu à en ramasser, avec un peu de terre et de boue, et a tout mis dans une bouteille coupée en deux. C'est un peu de couleur. L'herbe prend lentement racine. Macao, elle, aime le regarder faire. Malgré son visage fatigué, il ne perd pas son sourire. Jour après jour, il donne à ce trou sombre, puant et sale, une odeur de maison. Puisqu'ils sont dans la Périphérie Nord, ils ne travaillent pas. Ils sont un peu connus, tout de même, car Arun recoud les vêtements des habitants contre un peu de nourriture.

On les connait, mais on ne parle pas d'eux. Les bâtards sont comme ça. On ne pose pas de questions, en particulier lorsqu'on se fait aider. Il y a eu quelques passages de la police, quelques raids, mais les habitants les ignorent. Ils ne savent rien, n'ont rien entendu ni vu, ils lèvent seulement les mains en signe de reddition lorsqu'ils n'ont pas eu le temps de s'enfermer chez eux. Mais le nombre de fouilles diminue. Les dirigeants se lassent. Retrouver deux êtres, l'un habitué au fonctionnement de la Ville, l'autre à celui de la Périphérie, est peine perdue. S'ils entrent dans la Ville ou tentent de fuir par le désert, de toute façon, les forces de l'ordre en seront averties.

A quoi bon chercher ? Avril tire à sa fin. Dans un an, le garçon sera déclaré mort et on convaincra les Birmans d'en refaire un autre, ou d'adopter. Coincé dans la Périphérie, avec son corps fragile, il ne sera de toute façon pas vivant très longtemps encore. Dans le petit appartement, Macao coupe les cheveux d'Arun alors que les racines crèmes réapparaissent. Skooma revient avec de la viande séchée et de vraies bananes : c'est un festin. Cette fois il s'installe avec eux. Il espère qu'il pourra être le parrain. En attendant, il ramène un coussin. Un unique coussin, pour mettre sous le ventre de Macao lorsqu'elle dort. C'est Kassem qui l'a donné.

Parfois, Macao voudrait qu'Arun retourne à la Ville. Il peut recommencer sa vie là-bas. Comme Cihan Yildirim l'a fait avant lui, il aura un examen psychologique et sera presque aussitôt réhabilité. Ce n'est pas compliqué. Ce serait plus prudent. Elle essaie de l'en convaincre. Mais il est têtu. Lui aussi voudrait s'inspirer de Cihan, mais pas tout à faire de la même manière. Lui, il voudrait tenter le désert. Il y a quelque chose. Sinon, pourquoi n'a-t-on pas retrouvé le corps de la femme du professeur ? Il peuvent le faire. Dès que la surveillance sera amoindrie aux sorties de la Cité, il faut qu'ils tentent le coup.

Mais Macao n'est pas convaincue. Même si Shadow a reconnu avoir aidé Cihan et sa bâtarde à l'époque, la carte qu'il avait fournie à la jeune femme n'était qu'un délire incensé, une carte aux trésors imaginée par un enfant. Rien n'y était réel que le rêve. S'ils tentent le désert, Arun ne survivra pas. Le bébé non plus. Macao peut-être, mais pour combien de temps ? Dans le désert, il y a encore moins de choses que dans la Périphérie. S'ils n'ont pas retrouvé le corps à l'époque, c'est sûrement parce qu'il a été englouti par le sable. Arun aime l'idée. Dévoré par la nature, c'est déjà bien mieux que cet élément tiède et fade qu'il a laissé derrière lui à la Ville. Il n'a plus que du dégoût pour ce qu'il était, et il préférerait mourir que d'y retourner.

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