Chapitre 55

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Plongé dans le noir, Axel répétait doucement les exercices de la séquence d'échauffement des Mecers. Les gestes répétés l'aidaient à passer le temps, à éviter de se poser des questions dérangeantes. Il avait généré une flamme, la première fois que Solerys l'avait enfermé là, et depuis qu'il avait délimité les contours de la petite pièce, il préservait ses forces.

Il ne savait pas s'il faisait jour, s'il faisait nuit, ni combien de temps Solerys comptait le garder enfermé.

Axel obligea ses pensées à se concentrer sur ses gestes. Il n'était pas claustrophobe comme son oncle Aioros, mais nul ailé n'aimait se retrouver confiné sous terre.

Sa gorge était sèche, pourtant il se refusait à terminer le verre d'eau qu'il lui restait. Il ne savait pas quand Solerys daignerait lui rendre visite. Et le dernier verre d'eau qu'il avait vidé lui avait fait perdre connaissance.

Axel termina sa série, souffla doucement.

Telclet ? appela-t-il une nouvelle fois.

Il essayait, au moins une fois par jour.

Telclet, répond-moi. J'ai besoin de toi.

Il attendit, le cœur battant, ne perçut aucun changement dans le lien. Le découragement s'abattit sur lui ; il le repoussa. Telclet n'avait que lui pour le défendre de Solerys. Et maintenant, il ne savait même plus où Solerys le détenait. Dès qu'il le pourrait, il lui faudrait fouiller la maison. Telclet n'était pas loin, ça, il le sentait encore.

Avec un soupir, Axel se remit en position, débuta de nouveau sa série. Se projeter dans l'instant, dans la souple harmonie des gestes, ne plus réfléchir. Un pas, un déplacement coulé. Une parade, un retrait. Une avancée, un...

La porte s'ouvrit dans un flot de lumière. Instinctivement, Axel se protégea les yeux. Un mouvement brusque qui tira sur sa blessure. Clignant des yeux, il finit par s'accoutumer à la nouvelle luminosité. Solerys. Axel baissa lentement les bras, serra les poings.

—Alors, Axel ? Tu aimes tes nouveaux quartiers ?

Axel déglutit.

—C'est sombre, risqua-t-il. Combien de temps suis-je resté enfermé ?

Solerys haussa les épaules.

—Est-ce important ? Suis-moi, je vais te faire visiter ton nouveau village.

Mâchoires serrées, Axel grimpa les quelques marches et passa la porte à la suite de Solerys, détailla aussitôt son environnement. Il faisait jour, déjà. La maison était en bois, avec des étages s'il en croyait les escaliers devant lesquels ils passèrent. Un couloir lambrissé, qui donnait sur une large pièce. Une cheminée, plusieurs fauteuils autour d'une table basse, un épais tapis de laine coloré aux motifs fleuris. Plusieurs cadres étaient accrochés au mur : des paysages, des fleurs. L'odeur de la cire embaumait les lieux. Une chose était sûre, rien ne trahissait une longue absence. Quelqu'un s'était occupé des lieux pendant que Solerys n'était pas là.

—Tu aimes ? questionna Solerys avec un sourire.

—Je ne m'attendais pas à ça, avoua Axel.

—J'ai un domestique qui s'occupe de la maison en mon absence. Je pars régulièrement visiter les autres villages sous mon contrôle, histoire de vérifier que tout se passe bien. Tu vois, ici, tout a continué sans moi. Tu comprends ce que ça veut dire, n'est-ce pas ?

Axel frémit. Emprisonné ou non, Solerys avait suffisamment endoctriné ces gens pour qu'ils poursuivent son œuvre, même sans lui. La pensée était inquiétante. Solerys était plus qu'un simple criminel ; il était à la tête d'un vaste réseau. Combien y'avaient-ils de petits villages comme celui-ci, à l'abri dans l'immensité de la forêt des Cargues ?

Solerys ne se formalisa pas de son absence de réponse. Il scrutait son visage, comme s'il cherchait à deviner ses pensées.

—Reste près de moi, maintenant. Je ne voudrais pas que les villageois te taillent en pièce, en apprenant que tu es à l'origine de mon absence prolongée.

Axel déglutit et hocha la tête. C'était une menace. Il n'aurait pas cru que les villageois lui soient tous hostiles, mais pendant qu'il était enfermé, Solerys avait pu raconter sa propre version des faits. Une fois encore, il était coincé.

Il suivit Solerys à l'extérieur. Les routes étaient de terre battue, bien entretenues. Les façades des maisonnettes étaient colorées, mais Axel commençait à se faire au style chargé des Niléens. Même s'ils étaient en hiver, il y avait quelques fleurs. Des bruyères rouges et blanches, de beaux cyclamens mauves. Les autres, il ne les reconnaissait pas.

Les effluves de la boulangerie lui rappelèrent qu'il n'avait rien mangé depuis longtemps ; son estomac gronda mais Solerys se contenta de sourire. Axel avait envie de lui effacer son sourire à coups de poings. Ils passèrent devant une fleuriste, puis devant une boutique de joaillerie qui lui rappela Lucille. Son cœur se serra. Il avait été heureux, quelque part. Créer, se perdre dans le travail... ça lui manquait. Il s'était senti si utile, alors...

Utile, et prisonnier tout à la fois.

L'amertume remplaça la douceur du souvenir, et il fut presque soulagé d'approcher la forge. Le bruit du métal qui s'entrechoquait était désagréable, mais la chaleur qui émanait des creusets où le métal brulant était coulé l'attirait inexorablement.

Le forgeron ne cessa pas son travail à l'approche de Solerys. Concentré sur son enclume, tenant un fer à cheval avec des pinces, il terminait de lui donner sa forme avec de petits coups de marteau. Enfin, il le plongea dans un grand tonneau, posa ses outils, puis essuya ses mains sur son large tablier, largement tâché. Coula un regard curieux vers Axel.

—Que me vaut ce plaisir, Solerys ?

Il avait posé la question avec une certaine réserve, nota Axel. Son attention s'éveilla. Toute discorde, même la plus minime, était une occasion à saisir.

—Tu as de quoi lui fabriquer des poids ?

—Quoi ? s'indigna Axel.

Le regard calme de Solerys se posa sur lui.

—Tu préfèrerais qu'on te coupe les plumes ? dit-il d'une voix suave.

Axel frissonna. N'importe quoi, sauf ses ailes.

—Je n'ai aucune raison de m'enfuir alors que vous détenez Telclet, rappela-t-il.

Et il était presque certain d'avoir éveillé la curiosité du forgeron.

—Je préfère ne prendre aucun risque avec toi. De combien faut-il te lester pour que tu ne puisses plus t'envoler ?

Axel déglutit.

—Bien moins que vous le ne pensez. Nous sommes capables de porter beaucoup de poids, mais il nous faut surtout une impulsion de départ.

Pensif, Solerys se frotta le menton.

—Commence par cinq kilos pour chaque jambe, dit-il enfin.

—Cinq kilos ? s'exclama Axel. Je pourrais à peine marcher avec ça !

—Alors c'est encore mieux, sourit Solerys.

Axel serra les poings. Il aurait dû se douter que cela réjouirait Solerys.

—Attache-le tant qu'il n'est pas lesté, ajouta Solerys. Il ne doit pas s'enfuir.

Axel se mit à protester, pour la forme. Il savait qu'il n'avait pas le choix. Le forgeron l'attrapa par le bras – il avait une prise solide, nota Axel par réflexe – l'assit sur un banc et referma un anneau d'acier autour de sa cheville.

—Tiens-toi tranquille le temps que je travaille, lui dit-il sans le regarder.

—Qu'allez-vous faire ? demanda Axel, anxieux.

—Ce que Solerys m'a demandé. Pour que cela te soit plus confortable, je ne vais pas faire un simple anneau. Ça a tendance à abimer la peau. Non, poursuivit-il en allant activer le soufflet, puis en allant chercher de lourdes barres de fer. Je vais couler plusieurs barres, que je glisserai dans un étui autour de tes mollets. Crois-moi, tu ne réussiras jamais à les enlever.

La gorge sèche, Axel le regarda travailler avec appréhension. Ses chances de s'échapper diminuaient d'instant en instant.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant