Chapitre 54

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Deux jours en pleine forêt. Nicoleï hésitait entre pester contre les branches qui fouettaient ses ailes, les arbustes qui griffaient ses jambes et le plaisir d'être quelque peu protégé des éléments. Surtout, il leur était plus facile de rassembler assez de bois pour que leur feu tienne toute la nuit.

Ce soir-là, ils contemplèrent les flammes avec satisfaction. Leurs réserves de viande séchée et de fromage ne tiendraient que trois jours, mais Nicoleï avait trouvé des châtaignes et des noix qui avaient agréablement complété leur repas. Mieux, Tabatha avait tiré un faisan !

Ils n'avaient pas laissé grand-chose du volatile, qui, simplement rôti sur une branche, leur avait paru un délicieux repas.

Manger chaud, c'était un confort que Nicoleï se promit de toujours apprécier à sa juste valeur. Et si son intuition ne le trompait pas, d'ici deux jours, ils rattraperaient Solarys et Axel. Nicoleï s'était d'abord étonné que leur trace s'immobilise, s'était inquiété que quelque chose soit arrivé à Axel, puis avait réalisé que c'était une aubaine pour eux : ils pourraient rattraper leur retard.

À ses côtés, Tabatha montait les pointes sur ses flèches. L'un de ses carquois était plein et le deuxième, en bonne voie de l'être. Elle avait même trouvé le temps de lui bricoler un arc, même si elle s'en voulait de ne pas l'avoir gravé correctement.

Solarys se retrouverait transformé en pelote d'épingles, s'il se trouvait face à elle.

—Je serai Solarys, je me ferai du souci, dit Nicoleï.

Tabatha ne releva pas les yeux de son travail mais rit doucement.

—Et tu aurais raison, approuva-t-elle.

Elle testa son travail, puis, satisfaite, rangea la flèche terminée dans son carquois et se saisit d'une nouvelle.

—Solarys doit payer pour ce qu'il a fait, poursuivit-elle.

—Et il a fait... ? questionna Nicoleï, curieux.

—Il a manipulé ma sœur, Syntone. Elle s'est subitement détournée de nous, disant qu'elle refusait de devenir fleuriste alors que c'était son vœu le plus cher depuis toute petite. Et un matin, elle n'était plus là. Nous l'avons cherchée dans toute la ville, en vain. Trois mois plus tard, nous avons reçu une lettre d'elle. Elle disait s'épanouir, avoir trouvé sa voie. Qu'il ne fallait pas chercher à la contacter, qu'elle était trop loin pour nous rendre visite. La mort dans l'âme, mes parents se sont résignés. Moi, j'étais anéantie. Qu'est-ce qui lui était arrivé pour qu'elle change à ce point ? Elle n'avait que seize ans ! Alors nous avons fait notre deuil et la vie a continué. Et il y a un mois, la garde niléenne est passée avec des avis de recherche. Ils avaient trouvé des jeunes filles et recherchaient leur famille. Nous avons reconnu Syntone sur l'un des portraits. Ils nous l'ont amenée, en état de choc. Ses souvenirs étaient flous, imprécis. Elle avait du mal à se rappeler de nous. (Ses yeux s'embuèrent). Par Eraïm, elle ne se souvenait plus de tout ce que nous avions partagé ! Mon cœur était en miettes. Comment se reconstruire, après ça ? Ma sœur était devenue une inconnue.

Tabatha rangea la flèche, s'empara de la suivante. Nicoleï n'osait dire un mot. Tabatha prit une grande inspiration.

—Puis ce guérisseur est venu. Un Initié de Soctoris, avec ses perles blanche et noire sur sa mèche rouge. Il a demandé à examiner ma sœur, a expliqué que toutes les autres victimes de Solarys étaient aussi examinées, pour voir si elles avaient des séquelles. Elle était enceinte.

Tabatha se tut un instant.

—De ce Solarys ou d'un autre, nous n'en savions rien. Elle était incapable de s'en souvenir. Je me souviens qu'elle a fondu en larmes lorsque le Soctorisien lui a annoncé sa grossesse.

Elle leva ses yeux mouillés de larmes vers Nicoleï.

—Je ne sais pas comment vous réussissez à accepter ça. Ma sœur a pleuré pendant trois jours, puis elle a demandé à avorter.

Nicoleï frémit, faillit dire quelque chose, se ravisa. Elle était Niléenne, se rappela-t-il. Et son Messager avait bien insisté sur le fait qu'ils devaient respecter les coutumes des autres peuples. Même si elles allaient à l'encontre de leurs propres convictions.

—Le guérisseur est revenu et nous l'avons accompagnée au dispensaire. Quand elle est réapparue, je l'ai prise dans mes bras et elle a pleuré sur mon épaule. Du regret et du soulagement, c'était ce qu'elle ressentait. Ce n'était pas sa faute. C'était celle de ce Solarys. Alors j'ai juré qu'il paierait pour ce qu'il avait fait à ma petite sœur.

Nicoleï déglutit. La motivation de Tabatha lui parut soudain bien plus noble que la sienne. Il n'avait agi que par orgueil, parce qu'il voulait lui aussi participer à une mission exaltante, au lieu d'enchainer les exercices à l'École des Mecers, avec son Messager. Poursuivre un criminel, n'était-ce pas ça, la raison d'être des Mecers ?

Il s'était trompé sur toute la ligne. Ils n'étaient pas assez expérimentés pour faire face à un criminel endurci comme Solarys. Pire, il avait poussé Axel à essayer. Axel, à peine Émissaire, qui devait juste se renseigner, pas se lancer seul à sa poursuite.

Par sa faute, à cause de son égoïsme, Axel avait été capturé et s'était retrouvé de nouveau entre les mains de Solarys.

Quel idiot il avait été.

—Je n'aurais jamais dû encourager Axel sur cette voie, marmonna-t-il.

—Nous allons le secourir. Nous retrouverons ton ami, Nicoleï. Une fois Solarys mis hors d'état de nuire, nous nous dirigerons vers Orein et nous pourrons contacter tes supérieurs. Peut-être même avant, si nous trouvons une ville de taille suffisante pour accueillir un bureau de Courriers.

Nicoleï acquiesça, se sentit revigoré. Bientôt, Solarys paierait pour ses crimes.


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