Chapitre 6 : Libres

115 13 39
                                    

Je marque un temps d'arrêt. J'ai forcément mal entendu. Je les regarde tour à tour priant pour que quelqu'un répète la phrase et me confirme que je dois me faire appareiller. Ils ne peuvent pas avoir dit ça. Ils ne peuvent pas me faire ça. Pourtant, personne ne parle et tous se contentent de me fixer. Alex se mordille la lèvre, Caleb me regarde avec intérêt et Lyanna martyrise toujours ses mèches argentées. Il n'y a que Cameron qui semble aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau, souriant de toutes ses dents. 

— C'est une blague, c'est ça ? tenté-je en commençant déjà à reculer devant leurs yeux désolés. 

— Bien sûr, poisson d'avril en novembre Lana ! s'amuse Cameron. 

Je lui lance un regard assassin avant de leur balancer ma façon de penser aux visages. 

— Non, mais vous êtes tombés du car ? Je suis la moins bien placée pour tenter de rallier les foules ! Je vous rappelle que je déteste le Conseil des Anciens plus que tout, que je n'ai aucune sympathie à l'égard des Alementas des camps en général et... Et puis je ne les connais pas merde ! 

Lyanna s'avance. Son pas est déterminé et sa main a lâché ses cheveux pour se poser sur ses hanches. Je crois un moment qu'elle va me sermonner mais lorsque je lève la tête pour affronter ses prunelles tempétueuses, je suis surprise d'y découvrir de la compassion et une conviction sincères. 

— Tu n'es peut-être pas la mieux placée au monde, mais tu es la mieux placée d'entre nous. Cameron est un assassin qui alimente les contes horrifiques des enfants, Alex est un Double donc le diable bien qu'il les ait tous soignés et moi, je ne suis plus la bienvenue depuis longtemps parmi eux. 

Présenté comme ça, c'est sûr que... Mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas essayer de convaincre des gens pour une cause que j'ai moi-même rejoint en échange de quelque chose. Ca serait l'hôpital qui se fout de la charité ! 

— Et Caleb ? 

— Caleb sera avec toi, m'assure Lyanna comme si cela résolvait tout. Mais c'est toi qui doit parler Lana. Certains Alementas dans ce camp connaissaient ta mère et l'appréciaient énormément. Tu peux faire marcher ça. Raconte ton histoire. On suit le plan initial, tout raconter et ceux qui nous croient nous suivent. 

Mon cœur loupe un battement. Ils me demandent de remuer une énième fois le couteau dans les plaies ? On ne peut pas me laisser cicatriser tranquille ? Je fais de mon mieux pour ne pas laisser transparaître mes émotions et soupire en baissant la tête. 

— Vous êtes ou courant qu'on va m'accuser de mentir ? me dérobé-je, la voix rauque. 

— Pas avec Yollan et Tim pour affirmer ou non que tu dis la vérité. 

Je les avais oubliés ces deux énergumènes... 

— Quel serait leur intérêt à confirmer que je dis la vérité ? Ils font partie du Comité, ils savent forcément que je dis vrai et que le Conseil va en prendre pour son grade. Je ne vois pas pourquoi ils attesteraient mes paroles. 

— Ce sont des Sentimentaux, intervient Caleb. Ils font peut-être partie du Comité, mais qu'on soit honnête, ils sont là pour ne pas fâcher les peuples. Les Anciens ne leur faisaient pas confiance au point de tout leur dévoiler. 

Je penche la tête sur le côté, surprise. Donc ils ne sont au courant de rien ? Les Anciens sont vraiment une belle bande d'enfoirés... Ils acceptent en bons samaritains d'ajouter les Sentimentaux à leur groupe de lèche-botte pour leur réunion d'alcooliques anonymes mais ils ne servent que d'objet de décoration en somme ? Une belle illusion de démocratie, tout ça. Cela dit, si les deux jumeaux infernaux ne savent rien, ça peut nous laisser une chance. Je grince les dents face à mes propres pensées. Nous... Depuis quand y a-t-il un nous ? Pourquoi est-ce que je me complique la vie ici ? En trois jours, je me suis posée cette question au moins une cinquantaine de fois. Dante est mort, ma mère repose en paix et n'a absolument pas besoin d'être vengée. J'ai accompli ma part du marché passé avec Cameron et Lyanna en les aidant à infiltrer le bâtiment des Doubles. Techniquement, je suis libre de me casser. Plus rien ne me retient ici. Mais c'est peut-être bien le problème. Plus rien ne me retient nul part. Je suis toujours recherchée par la police, suspectée de matricide et coupable de blessure mortelle sur gardien de la paix. Donc impossible de me pointer la bouche en cœur pour reprendre ma vie où je l'ai laissée. Je devrais me construire une identité, un passé, une apparence et jouer un rôle pour le restant de mes jours, faisant comme si ma mère et Dante n'avaient jamais existé. Je rayerais une partie de ma vie qui n'est certes pas des plus joyeuses mais qui a existé. Je ne peux pas l'effacer pour recommencer sur une page blanche. Cela serait injuste pour eux. C'est peut-être pour ça que je reste. Je m'accroche à ce qu'ils ont connu et à ceux qui les ont connus comme si cela leur permettait de rester un peu plus longtemps près de moi. Et je risque ma vie pour ça. Absolument pas ce qu'ils auraient voulu, mais bon... S'ils voulaient avoir leurs mots à dire sur mon avenir, ils se seraient débrouillés pour en faire partie. Je sens mon cœur se serrer de nouveau. Ne craque pas, Lana...

Alementa II- FlammeWhere stories live. Discover now