Chapitre 3 - Nouveau monde

17 4 3
                                    

Un pas, deux pas, dix pas et ses jambes se figèrent d'elles-mêmes. Devant elle se trouvaient les plus hauts gratte-ciel qu'elle ait jamais observés. Leurs parois étaient tapissées de feuillages qui semblaient s'échapper des balcons pour s'élever jusqu'au soleil. Lilia leva une main devant ses yeux, éblouie par la lumière de l'astre qui perçait à travers le verre. Du verre ? Un dôme ? Elle tourna sur elle-même : aussi loin que ses yeux pouvaient porter, elle voyait ce couvercle translucide envelopper les édifices et les habitants sous lui. Tout autour, des routes tentaculaires zigzaguaient, s'enroulaient et s'élevaient parfois jusqu'à plusieurs centaines de mètres du sol. Des dizaines de milliers de voitures glissaient sur ces voies. Si l'on pouvait appeler ces choses des voitures. Elles ressemblaient davantage à des suppositoires métalliques montés sur roues. Le regard de Lilia ne pouvait s'empêcher d'osciller de gauche à droite comme si elle assistait à un match de tennis en accéléré. Où diable était-elle ? Plus dans son village du sud de la France, c'était clair ! Mais ces écrans flottants, ce gratte-ciel vertigineux qui lui faisait penser à une cathédrale, ces ponts gigantesques et puis ce dôme qui semblait produire un vrombissement continu, d'où sortaient-ils ? Si une ville possédait une telle architecture, elle le saurait !

Était-elle victime d'une caméra cachée ? Mais qui aurait les moyens d'un canular pareil ? Non, elle devait halluciner, elle ne voyait pas d'autre explication logique.

Elle fit un bond en arrière alors qu'un passant croisait son chemin. Il portait une espèce de toge argentée en plastique souple qui descendait jusqu'à ses chevilles et un bonnet bleu pendant. Mais son accoutrement n'était pas le plus surprenant : il arborait une chose étrange par-dessus son visage. On aurait dit une sorte de masque translucide qui altérait ses traits. Il lui donnait des yeux bleus gigantesques, des joues aussi roses que les fesses d'un bambin et des lèvres épaisses comme deux saucisses. Si Oui Oui avait grandi et fait du botox, il aurait sûrement ressemblé à ça.

Lilia le fixa sans ciller et ne remarqua pas qu'il s'était raidi et semblait appuyer sur un bouton imaginaire entre ses doigts. Elle sentit alors une pression sur son bras et vit Gaëtan la tirer en arrière.

— Pardonnez-la, dit-il au passant, elle est atteinte du syndrome TTTT, extrêmement rare, c'est très dur pour nous tous.

L'individu le dévisagea avec scepticisme, mais continua son chemin.

— Bon sang, s'exclama Rodrigo, un pas dehors et c'est déjà la catastrophe !

Des milliers de questions se bousculaient sous le crâne de la jeune femme, mais elle ne parvint qu'à lever son doigt vers Oui Oui et balbutier lamentablement :

— Je... Mais... où ?

— Baisse-moi ça ! s'écria Rodrigo en désignant sa main. Ça ne va pas de le fixer pendant plus de cinq secondes, tu le pointes aussi du doigt ? Tu veux rameuter tous les flics du quartier ou quoi ?

— Pardon d'avoir touché ton bras sans ton consentement, reprit Gaëtan, mais la situation aurait pu rapidement dégénérer.

— Qu'est-ce qui m'arrive ? parvint-elle enfin à murmurer.

— Tu es en 2096, répéta-t-il. Nous t'avons fait venir du passé, mais ne t'en fais pas, tu seras de retour dans ton époque à la fin de la journée.

Pour la première fois, le discours du jeune homme pénétra dans son esprit. C'était impossible, impensable et pourtant... Ses yeux balayèrent une nouvelle fois ses environs alors qu'elle commençait à accepter cette éventualité. Le futur. Elle chancela et se rattrapa contre l'immeuble de Rodrigo.

— Viens, continua Gaétan, rentrons, nous allons tout t'expliquer.

— Non !

Elle ignorait encore tout de ces deux énergumènes — même s'ils étaient de loin ce qui se rapprochait le plus de son sens de la normalité dans cet environnement — et refusait de se retrouver seule avec eux.

— D'accord, d'accord, abdiqua Gaétan. Rod, une idée d'un endroit où nous pourrions aller ?

— Il y a un café vintage pas loin.

Docilement, Lilia suivit les jeunes hommes. Je suis dans le futur, je suis dans le futur, se répétait-elle. Comment accepter une chose pareille ? Si elle ne se réveillait pas en découvrant que tout ceci était un rêve bizarre, il lui faudrait des séances de thérapie. Sa psy serait ravie de la revoir. Salut Magda, non je ne viens pas parce que mon chien est mort cette fois-ci, mais devine quoi ? Je suis allée dans le futur ! Quoi, qui sont ces hommes en blanc que tu as appelés ?

Alors qu'elle marchait dans la rue, elle força son regard à ne pas trop s'attarder sur les passants. Elle remarqua cependant que la plupart étaient escortés par de petits objets volants métalliques de la taille d'une balle de tennis. Ils portaient des accoutrements sans aucun sens, entre kimonos colorés accompagnés de casques à cornes, robes à tournure et baskets à talons, bas de jogging et cape brodée. Elle avait l'impression d'être tombée au milieu d'une comic-con remplie de gens bourrés. Nombre d'entre eux portaient le même masque par-dessus leur visage, comme un filtre qui effaçait ou exagérait leurs traits. Ils avaient tous l'air de barbies mutantes avec leur grain de peau inexistant, leurs yeux gigantesques et leur faux maquillage clownesque.

Ils traversèrent une route et Lilia se rendit compte qu'il n'y avait aucun feu ni panneau de signalisation. Elle examina l'intérieur des voitures aux vitres teintées et constata que plus personne ne les conduisait. La plupart de leurs occupants dormaient ou avaient les yeux rivés sur un écran. Elle aperçut même l'un d'eux courir sur un tapis roulant à l'arrière d'un véhicule particulièrement large.

— Par ici, indiqua Rodrigo.

Ils entrèrent dans le café.


Lilia en décon-futur [Nouvelle]Where stories live. Discover now