6 - Citron

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Max

— Je peux pas dire que j'suis fière de toi, gros gorille!

Agathe sort de ma voiture après l'avoir garée dans le garage et l'avoir installée sur les rails permettant de la surélever. Je m'avance pour éviter qu'elle ne hausse le ton, en profite pour l'observer un bon coup. À mon grand étonnement, elle n'a pas changé. Ma petite sœur a toujours des marques de cambouis dans le visage parce qu'elle n'attache jamais assez bien ses cheveux longs et qu'ils lui chatouillent les joues. La seule différence réside dans ses yeux, qu'elle a bleu vif comme notre mère, et qui pétillent normalement de joie perpétuelle et de malice.

Aujourd'hui, ce sont des éclairs qu'elle dirige vers moi.

Il y a des semaines que je l'ai vue, et je crois que c'est surtout pour cette raison qu'elle est remontée, pas parce que j'ai mis des plombes à lui apporter ma voiture. Elle met les mains sur les hanches dans une vaine tentative pour m'intimider.

Avec son mètre soixante contre mon mètre quatre-vingt dix, aucune chance. Je ne compte même pas la différence de poids dans l'équation, par respect. Certains points doivent être tus, il paraît. Même si mes sœurs sont toutes loin d'être des ladys, j'ai appris avec le temps que ma corpulence est assez évidente pour ne pas être vocalisée.

Et de toute façon, les chihuahuas se ficheront toujours d'être le plus petit chien de la planète; ils japperont toujours autant, que ce soit face à un de leurs semblables ou à un ours.

Je réprime un sourire — ce serait comme jeter de l'huile à moteur sur le feu.

— Je suis là, maintenant, me contenté-je de dire pour toute défense, en haussant les épaules.

— Oui, je vois, merci bien! Contente de voir que t'as pas changé, je commençais à me demander!

Agathe est très expressive; elle gesticule dans ma direction avant de s'avancer, les mains sur les hanches, pour m'observer d'un œil critique. Je ne suis pas insensible aux reproches, mais je vois mal quoi répondre qui ne faille pas que me mettre encore plus dans la merde. Alors je la laisse me tourner autour comme une furie, un vautour. Je reste immobile, me contentant d'affronter son regard quand elle repasse devant moi.

— Même tes cheveux, ils ont pas poussé.

— Je les fais couper tous les mois.

Quand je suis avec Agathe, on dirait que mes membres ne répondent plus, à l'exception de mes épaules, que je hausse aux moments propices, comme maintenant. C'est un automatisme, je crois, enclenché par la peur de faire un truc qui me trahirait.

— C'était quand ta dernière coupe?

Les mains sur les hanches toujours, un chiffon dépassant de son bleu de travail, elle me scrute avec attention. Je demeure inébranlable. Avec Alaster comme employeur, il faut bien.

— Hier.

— Comme par hasard...

Je réponds toujours la même chose, ça m'empêche de devoir m'empêtrer dans mes mensonges. Cette fois, cela dit, plutôt que de simplement hausser les épaules, je fais un pas de côté et lève les bras et les yeux vers le ciel. C'est toujours la même rengaine.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise, Ags?

— Que t'es désolé.

Facile.

— Je suis désolé.

— Que tu vas venir me voir plus souvent.

Moins facile.

Le requin chartreuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant