1 - Ivoire

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Toutes mes journées commencent à cinq heures. Sans exception.

Je me lève, m'habille et sors dans la fraîcheur d'octobre. Je mangerai sur place, ou sur le pouce. Mon employeur, Alaster Blais, ne souffre aucun retard. Jamais.

Je quitte mon appartement en moins de dix minutes.

Lorsque je sors dans la grisaille, il n'y a pas âme qui vive. J'aime bien ce moment, c'est tranquille, sans contrainte. Je chemine sur les rues endormies en conduisant lentement, repoussant le plus possible mon arrivée, l'arrêt de ma liberté pour la journée. De toute façon, le soleil ne pointera le bout de ses rayons que bien après que j'aie coché la moitié des corvées qui m'incombent. C'est la raison pour laquelle je me lève si tôt, d'ailleurs. Je peux me permettre de prendre mon temps et tout de même arriver en avance.

Je me gare à destination dans un silence relatif à côté de la berline d'Alaster qui rutile sous mes phares. Je franchis les escaliers de pierre du perron en trois enjambées en regardant par-dessus mon épaule malgré moi pendant que je repêche mes clefs dans la poche de mon trench.

La maison de mon employeur a l'air plutôt banale, avec sa façade de briques et son garage, mais c'est une vraie forteresse. La porte se déverouille au moyen d'un code à six chiffres et d'une puce ajoutée à mon porte-clefs. Des caméras sont cachées dans toutes les pièces, et la moindre porte, la moindre fenêtre, est reliée à un système de sécurité à la fine pointe de la technologie.

Et je suis prêt à parier que ce ne sont pas des policiers qui débouleront en cas d'intrusion. Je n'ai pas de confirmation claire, mais je ne suis pas con. J'ai signé le contrat qu'il m'a tendu en sachant pertinemment qu'il n'était pas net. Déjà, personne n'a sous la main la somme astronomique qu'on me paie pour tenir cette maison et m'occuper d'une fillette... à moins de conserver ladite somme sur un compte offshore après l'avoir bien nettoyé.

Pour être honnête, la provenance de mon salaire m'indiffère, dans la mesure où ça ne cause pas d'ennui à ma soeur Alexandrine, qui est pompière, et à Judith, qui veut devenir policière. Le reste, je m'en fous.

À l'intérieur, rien ne bouge. Seul le ronronnement de la thermo-pompe vient troubler le silence ambiant. Le salon et la cuisine sont dans l'état où je les ai laissés hier, c'est-à-dire impeccables. Les coussins du canapés sont bien alignés, les jouets rangés dans un coin de la pièce, et la table basse ne comporte que la télécommande ainsi que des sous-verres confectionnés par la petite pour la fête des Pères. Leurs nombreuses couleurs et leur contour de travers détonne : une trace d'humanité dans ces lieux quasi-aseptisés.

Je prépare la cafetière, lance le programme, et je commence la préparation du repas du soir, au cas où j'aurais un empêchement. Autant dire qu'il y a souvent des empêchements, cependant l'enfant doit manger, qui que soit la personne à la surveiller à ce moment-là. J'ai prévu le plat préféré d'Amélie : une lasagne à la viande. Je fais tout de A à Z, sauf les pâtes. J'ai pas que ça à faire, et pour être honnête, je cuisine par nécessité plutôt que par plaisir.

Le requin chartreuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant