3 - Fuschia

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— Tu veux rire de moi?

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— Tu veux rire de moi?

Mon exclamation surprend plusieurs clients du café où, tous les vendredis, quelques étudiants de notre programme de médecine se rejoignent pour faire le point après une semaine de stage bien remplie. Comme toujours pressée, je m'étais dit qu'arriver avant tout le monde me permettrait de profiter d'un peu de temps avec Sofia, ma meilleure amie, et justement la voilà qui arrive... avec les cheveux nouvellement gris. Je la fixe comme si une nouvelle tête venait de pousser entre ses épaules.

En fait, j'aurais été moins choquée, je crois.

Disparues, ses jolies mèches roses qui encadraient son visage encore hier! Je n'en reviens pas!

— Je savais que tu réagirais comme ça, répond-elle, les lèvres pincées.

Oups. Ça m'a échappé.

Mais du gris! Je veux dire, elle est jolie, mon amie, peu importe la couleur et la longueur de ses cheveux, sauf que... les couleurs ternes ou foncées, en général, sont de mauvais augure, et la vie m'a souvent donné raison.

Le garçon, au primaire, qui tirait mes cheveux? Il me faisait penser au gris-vert, comme celui qui teinte les vieux bâtiments aux toits de cuivre au centre-ville d'Ottawa.

La fille populaire, au secondaire, qui me traitait de tous les noms parce que, selon elle, agencer autant de couleurs pour une tenue était une horreur sans nom? C'était le brun rouille, comme celle qui ronge la carrosserie des voitures.

Le gris, ce n'est certainement pas pour Sofia.

Mon amie est une personne de confiance et dévouée, qui fait des pieds et des mains pour soutenir et aider ceux qu'elle aime. Elle est d'une loyauté sans faille.

— C'est quoi le problème?

Une voix douce m'interpelle, et je me fige en me rendant compte que Sofia est accompagnée. À ses côtés se tient une fille de notre cours à qui je n'ai jamais vraiment parlé plus de deux minutes à la fois. Je la reconnais cependant. Il s'agit de Mélanie, une rousse au visage doux et angélique. D'un naturel calme, elle nous observe à tour de rôle, ses livres de cours plaqués contre son cœur comme un bouclier.

— Le problème, siffle Sofia, les traits tirés par le mécontentement, c'est que Jaëlle pense que nous avons tous une couleur particulière, et j'ai teint mes cheveux en gris alors que ce n'est pas la couleur qu'elle aurait voulu pour moi.

Expliqué comme ça, ça a l'air un peu fou, et je m'en veux de ne pas avoir su tenir ma langue. Les couleurs font tellement partie de qui je suis que j'en viens à oublier que je suis la seule au monde à percevoir celle des autres. Ce n'est rien de magique, mais pour certain, ça ressemble au mysticisme, cette caractéristique de ma personne.

J'ai appris très tôt dans la vie que j'étais synesthète.

Les formes les plus courantes de cette particularité neurologique constituent à associer des lettres, des chiffres, ou même des sons, à des couleurs. Il y en aurait plus de cent cinquante formes différentes! Pour ma part, ce sont les gens qui m'inspirent des teintes du spectre des couleurs. C'est aussi naturel que l'association d'idées. Plus rapide, même! Je pense à ma sœur, je vois une framboise bien mûre. Sofia arrive, je pense à la fuschia. A contrario, si je vois un accessoire d'une teinte particulière, je pense à une personne en particulier. Quelques fois, des souvenirs sont étroitement liés à leur couleur, aussi.

Le requin chartreuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant