Ab iratio

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"De la drogue."

Julius jouait avec un porte-plume vide, le faisait rouler d'un doigt à un autre. Il avait ce sentiment implacable qu'il ne contrôlait plus rien dans cette affaire, il n'y comprenait plus rien, rien n'était clair. Il avait l'impression de sombrer en continu. Après son rapport rapide, on lui avait qu'il faisait du bon travail et de continuer dans cette voie. Rien de plus. Pas de ressources supplémentaires pour lui ou d'aide. Il avait connu des moments de doute. Mais cette fois-ci, c'était autre chose. C'était un malaise plus profond, comme si le sang était maintenant sur ses propres mains. L'affaire dépassait de loin son domaine de compétence. Il s'agita un peu plus derrière son bureau en raclant la chaise pour se dégager, il avait l'impression d'étouffer. Le porte-plume tomba au sol. Le vieil inspecteur était bloqué dans un écheveau de laine, il avait cette impression pugnace : un fil ne demandait qu'à être tiré pour que tout ne se démêle. Et ce fil était sans aucun doute le jeune homme qui était devant lui, assis en travers du canapé en cuir. Remarquant l'attention qu'on lui portait, Felix arrêta de jouer avec sa montre à gousset.

"Qu'en pensez-vous, Sullivan ?

- Nous devrions recouper les connaissances des autres victimes. Trouver les points communs."

MacPharlain hocha la tête, il pouvait au moins se remettre en mémoire les profils des autres meurtres et aller interroger les inspecteurs qui étaient sur cette enquête avant lui. Il expira longuement pour calmer ses nerfs. Un soleil timide filtrait à travers la fenêtre, encore hésitant après ses nombreux jours de mauvais temps. Le vieil inspecteur se leva et alla ouvrir un tiroir. Ses sourcils broussailleux se froncèrent tandis qu'il fouillait le contenu des dossiers. Il referma le premier tiroir et en ouvrit un deuxième, il pouvait sentir le regard unique de Sullivan posé sur ses épaules. Ce tiroir non plus ne contenait rien en référence à l'affaire en cours. Ce n'était pas étrange, seul le premier aurait dû contenir les notes, mais elles semblaient avoir disparues. Il était certain de les avoir mis dans le premier tiroir pourtant, en revenant de chez lui. Il avait passé la nuit à les lire et les avaient rangé dans le premier tiroir le jour suivant. Il ouvrit le troisième avec emportement, un claquement brut se fit entendre et le contenu se dispersa au sol. Le fond s'était brusquement rompu. Avant que Julius ne lui dicte de le faire, Sullivan se leva et commença à ramasser des feuilles. MacPharlain donna un grand coup dans le meuble qui manqua de finir de se désassembler. Il regarda le borgne qui rangeait.

"Tâchez de trouver le dossier."

Après une heure de rangement méticuleux pour l'un, quelques tasses de café pour l'autre, il fallut se rendre à l'évidence : le dossier s'était envolé. Julius se releva, les mains sur le bureau et les dents serrés. L'énervement croissant de l'inspecteur était à son paroxysme. Il détestait cette situation. Cette impression d'inconnu dans sa propre ville. Le sourire de Sullivan. L'absurdité des évènements. Le bruit que faisait Sullivan. L'incompréhension. La présence de Sullivan. Son mal de crâne. Tout Sullivan. Il avait prévu de l'éloigner de lui plus tôt dans la journée, c'était maintenant le temps. Celui-ci s'approcha de l'inspecteur avec les dossiers classés pour lui tendre. La réaction de l'inspecteur fut brusque. Il attrapa brusquement l'assistant qui s'était imposé à lui par le cou et le souleva de toute sa force vers le plafond. Felix essaya de se dégager de l'étreinte trop vigoureuse qui l'empêchait de respirer en battant des pieds dans une danse ridicule. Les dossiers s'étaient de nouveau dispersés au sol. Julius n'avait plus l'impression d'être lui-même. Tout son esprit lui criait de lâcher le borgne, mais son corps ne voulait pas comprendre, obnibulé par une haine viscérale et incompréhensible.

"J'en ai assez, Sullivan ! Rien ne va depuis votre arrivée !"

Il relâcha le cou pour attraper un pan de la chemise. Le borgne était beaucoup plus lourd que ce qu'il laissait paraître. La respiration de Felix sifflait. Le regard du jeune homme était plein d'incompréhension et de peur.

"C'est vous qui allez finir en prison, Sullivan ! continua Julius. Vols de documents ! Rétention d'informations ! Je ne sais pas ce que vous faites ! Mais vous ne m'aurez pas comme ça ! Non ! Pas moi ! "

La chemise craqua. Sullivan, sonné et suffocant, tomba au sol parmi les feuilles. Il se mit à tousser en se massant la gorge. Avant que l'inspecteur n'eut le temps de continuer son interrogatoire, la porte du bureau s'ouvrit laissant apparaître un homme bedonnant d'une trentaine d'années. Le nouvel arrivé resta coi devant la scène, hésitant à refermer derrière lui. MacPharlain reconnut alors son ancien partenaire : l'agent Peter Kosh. Le vieil inspecteur fronça d'autant plus les sourcils devant cette apparition. Pourtant, ce fut elle qui arrêta le délire qui envahissait son esprit. En contrecoup, une douleur perçante qu'il commençait à trop connaître envahi ses lobes frontaux. Peter, ne sachant que faire, tenta de prendre un peu de contenance et annonça :

"Des agents ont été enquêter chez le poète Artemis, il y a quelque chose de vraiment suspect là bas. Ils veulent que vous veniez."

Julius jeta un regard à Félix au sol, déboussolé. Il fit quelques pas en arrière pour se retenir au bureau tandis qu'il perdait son équilibre sous la souffrance qui déchirait son esprit, accompagné des habituelles voix étouffées étranges. Il secoua la tête de droite à gauche pour tenter de l'en chasser. Kosh ajouta sur un ton un peu plus pressé , légèrement anxieux :

« MacPharlain, nous avons besoin de vous !

- Oui... oui ! J'arrive ! »

Il attrapa finalement sa casquette ainsi que son manteau. Sur le pas de la porte, il se retint au chambranle pour ne pas tomber. Il lança un dernier regard au borgne, qui n'avait pas jugé bon de se relever.

"Nous... nous en reparlerons, Sullivan."

Il claqua alors la porte, laissant Felix à son sort. Celui-ci regarda autour de lui avant de se laisser glisser au sol, s'allongeant complètement. Il fixa le plafond de son oeil unique en soupirant.

La folie des ImmortelsWhere stories live. Discover now