Hommage aux horloges

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Felix avait vu le soleil se lever avec une lueur de dépit dans l'oeil, il avait veillé la scène de crime un long moment. Le corps avait pris tellement longtemps à être acheminé jusqu'à New Scotland Yard qu'il avait presque eut envie de le mettre sur ses épaules et de l'amener lui même jusqu'au bâtiment. Bâtiment où des journalistes étaient déjà présents, attendant sans doute l'arrivée de MacPharlain ou d'un visage connu. Il se contenta de passer avec sa cape relevée jusqu'à la moitié de son visage, un chapeau haut de forme enfoncé sur sa tête. On avait manifestement fourni une pièce plus petite au vieil inspecteur, il lutta un peu avec les meubles pour s'effondrer sur le canapé calé entre un mur et un classeur.

Son repos fut de courte durée, il fut secoué quelques heures plus tard par un Julius fulminant. Celui-ci avait dû affronter les journalistes, la famille de la victime et avait fini par ses supérieurs. Il lui était difficile de faire le moindre geste sans que sa frustration accumulée ne le rende plus brutal, aussi offrit-il à son compagnon un réveil sans douceur. Il avait néanmoins ramené deux tasses de thé brûlantes.
Le vieil homme alla s'asseoir derrière son bureau en maugréant et en se frottant les paupières. Le borgne se recroquevilla un peu mieux sur le canapé en relevant sa cape faisant office de couverture improvisée. Le réveil ne lui avait pas plu, il se mura dans le silence. L'aînée n'était pas d'humeur à s'excuser, ni même à discuter. Il vit la montre à gousset que Sullivan avait posée sur la table, il l'attrapa et regarda de nouveau à l'intérieur, voir s'il avait oublié quelque chose.

"Je t'aime, Elise." répéta-t-il.

Il s'était renseigné sur l'identité de la victime, mais cet homme n'était qu'un autre nom sur une liste déjà longue. Edward Sylfer menait une vie aisée grâce aux dividendes de la compagnie d'import-export gérée par son frère et lui. Pas d'Elise à l'horizon selon sa famille, il était célibataire endurci et coureur de jupons. Rien ne le distinguait vraiment des autres victimes, rien ne l'en approchait non plus. Aucun élément ne sautait aux yeux. MacPharlain se leva et alla admirer la Tamise depuis sa fenêtre. Certes la pièce était plus petite, mais au moins avait-il gagné cette vue, puis au moins avait-il un bureau. Son regard dériva sur Felix qui s'était rendormi. Depuis hier, sa présence ne cessait de le déranger. De légers frissons le secouaient parfois, comme des réminiscences mal engagée. Son intuition lui hurlait que quelque chose n'allait pas. Il s'approcha silencieusement du jeune homme et se pencha vers lui, la respiration calme soulevait la cape avec douceur. Seul les cheveux bruns étaient visibles. Julius allait s'éloigner lorsqu'il lui sembla discerner un autre bruit, il tendit l'oreille près de son partenaire sans arriver à le définir. Cela ressemblait au tic-tac sourd d'une horloge qui ne comptait pas les secondes... Il se releva rapidement lorsque des coups secs furent martelés à la porte, il repassa derrière son bureau.

"Entrez.
- Bonjour M'sieur MacPharlain. Le légiste m'a dit de vous donner ça."

L'inspecteur prit le dossier et remercia le garçon de course. Le museau de Felix émergea avec un grognement interrogatif. Tandis que Julius lisait le contenu, un sourire passa sur le visage du vieil homme.

"Bien. C'est parfait. Nous partons immédiatement. Bougez-vous, Sullivan. Et buvez cette tasse qu'elle ne soit pas là pour rien. "

Sullivan laissa glisser sa couverture et se releva sans la moindre détermination. Il se massa la mâchoire en baillant longuement. Julius repéra la présence de calèches en bas, avala son thé rapidement et ouvrit la porte à son partenaire qui la passa avec un deuxième bâillement en emportant la tasse avec lui. Le borgne s'étira longuement dans les couloirs les menant à l'extérieur, manquant plusieurs de frapper ses collègues avec de la porcelaine. Les journalistes avaient déguerpi pour la plupart et le regard furieux que MacPharlain lança aux restants suffit à éviter qu'ils ne s'approchent. De vieilles histoires parlent d'un de leurs confrères ayant dû tenir le lit pendant quelques jours après avoir énervé l'inspecteur écossais. Une fois à l'intérieur de la calèche, Julius donna au cocher l'adresse d'une lointaine banlieue chic de Londres, presque en campagne. Le jeune borgne attendit sagement que l'âgé fût assis pour attaquer, sirotant enfin le thé offert :

La folie des ImmortelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant