— Je ne t'ai jamais forcé la main, répond-il avec un calme olympien.

— C'est vrai, suis-je obligé d'admettre entre mes dents serrées.

Lyvie a des nerfs d'acier, et j'avoue que je me suis pris au jeu autant qu'Alaster. Éventuellement, sa curiosité est devenue la mienne : jusqu'où se laisserait-elle mener? Sans compter que la clause de confidentialité ne m'a jamais embêté dans la mesure où ça ne me mettait pas dans le pétrin. J'ai donc fait ce qui m'était demandé en posant un minimum de question : quoi, où, comment? La base. Cela dit, chaque fois un élément dans le discours d'Alaster permettait de me convaincre que je n'étais pas en train de devenir un criminel. Pas totalement.

— Mais ce que tu me demandes aujourd'hui dépasse l'entendement!

Et sans nul doute les limites de notre engagement de base. Putain, est-il conscient de ce qu'il me demande de faire? Il ne se contente plus de flirter avec l'illégalité, là! On parle d'enlever une femme, quand même!

— J'en suis conscient, Maximilien, déclare-t-il avec son habituel ronronnement, comme s'il pouvait lire dans mes pensées. Cependant, je t'assure que ce que je te demande n'en viole pas les clauses... ou sinon, trop peu pour que cela constitue un problème pour tes soeurs.

— Le problème n'est pas juste là, Al, et tu le sais. Si je vais en prison...

— Tu n'iras pas.

Je renifle de dérision. Alaster a le don de m'irriter avec sa désinvolture. Il donne l'impression constante d'avoir tous les pions en main. J'aimerais vraiment savoir à quel point cet homme pourrait me sortir des ennuis dans lequel il semble vouloir me plonger toujours un peu plus profondément.

Personne n'a autant de pouvoir.

— Tu me demandes d'utiliser du chloroforme, Al! Dans quel monde est-ce que c'est légal, à ton avis? Parce que dans le mien, si on me voit faire ça...

Sans compter qu'un grand gaillard dans mon genre qui trimballe une femme évanouie, c'est difficile à rater! Je grogne en passant une main dans mes cheveux.

En plus, je ne peux pas lui faire ça. Ce n'est pas humain, un tel traitement.

— Personne ne te verra, me rassure Alaster d'un ton convaincu. Je veillerai à ce que les lumières soient dysfonctionnelles dans le stationnement. Lyvie te fait confiance maintenant, elle ne devrait pas te poser de problème. Tout ce que tu auras à faire, c'est de mettre le chloroforme sur son visage, d'attendre un peu qu'elle se détende, puis de l'installer sur le siège arrière pour le transport. Étant donné votre différence de gabarit, tu n'auras aucun mal à la contenir.

Pour souligner ses propos, il me balaie de ses yeux perçants de haut en bas. Il a raison, je suis très bâti, et je peux soulever avec aise la plupart des hommes et des femmes parce que j'ai été entraîné pour les sauvetages. Ça ne veut pas dire que j'ai envie de me servir de cette faculté dans ces conditions.

Parlant de mon gabarit, il est toujours trop gros pour la chaise sur laquelle je suis assise. Je remue pour alléger l'inconfort. La chaise se plaint; elle menace de céder.

Je n'aime pas ça. Je n'aime vraiment pas ça.

Ni la chaise trop petite, ni la nouvelle tâche qu'il veut me confier.

— Je veux savoir pourquoi, dis-je enfin.

Il y a de grosses chances pour qu'il ne me réponde pas, mais cette fois, je ne peux pas faire ce qu'il demande à l'aveuglette. Je ne le peux pas. C'est la première fois que j'ose poser cette question en cinq ans. Il me doit bien ça, putain!

Le requin chartreuseWhere stories live. Discover now