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"Courir. Je dois courir !"

Ton esprit a beau te crier de t'enfuir, tes pieds refusent de l'écouter, ils sont comme piégés dans du ciment. Une larme coule le long de ta joue, tu te sens totalement impuissante, la peur te paralyse totalement. Un grognement parvient à tes oreilles, tu tournes la tête. Un mètre plus bas, encore face contre terre, Thomas rampe difficilement à l'aide de ses doigts crispés. Il se rapproche dangereusement de toi rythmant son avancé par une série de râles étouffés par le sang qui s'écoule de sa bouche.

"Il faut que je bouge et maintenant !"

Ton corps ne bouge toujours pas. Tu finis par fermer les yeux, gênée par l'eau salée qui s'accumule devant tes yeux et qui brouille ta vision.

"Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel. Ce n'est pas réel..."

Tu répètes en boucle cette phrase dans l'espoir de te calmer et de reprendre le contrôle de la situation. Tu sens un souffle froid sur ta cheville gauche qui est suivi par un contact plus chaud au-dessus de ton genou. Il venait de t'agripper : un bras entouré autour de ta jambe et sa bouche à quelques centimètres de ta peau. Un autre contact froid glissa le long de ton tibia, il n'était pas comme le souffle, il était plus solide et surtout plus étrange.

Tu ouvres les yeux, intriguée, et bascules ton regard vers ton flan gauche. Toujours solidement attaché à ta jambe, Thomas te regarde droit dans les yeux et trace de sa langue les contours de ton tendon d'Achille, laissant sur son passage une trainée de sang noirâtre. Il sourit face au regard de dégoût que tu lui adresse et sans une once d'hésitation, élance sa tête en arrière en ouvrant le plus possible sa mâchoire. Soudain alerté par le danger imminant, ton corps se réveille instantanément et tu retires en un éclair ta jambe juste avant que la paire de dents ne se referme sur elle. Sans hésiter, tu prends les devants et frappes à plusieurs reprises de ton pied, le crâne de ton partenaire. A chacun de tes coups, un bruit spongieux accompagne ton mouvement et son sang vient éclabousser ta robe. Dans un cri de rage, tu lui acènes un ultime coup brutal et t'éloignes de son corps inerte pour reprendre ton souffle. Il a peut-être l'air mort là : baignant dans son sang, le crâne explosé. Mais tu sais que ce n'est pas le cas et que dans quelques minutes il va reprendre connaissance.

"Je devrais peut-être chercher les autres ou trouver une arme..."

Tu t'éloignes de ton prédateur inconscient en trottinant, balayant la pièce et les invités du regard. Là à dix heures : un garçon aux cheveux longs est allongé face contre terre, jusque-là rien de spécial, mais un objet brillant attire ton attention. Tu enjambes son cadavre en prenant garde de ne pas marcher dans sa flaque de sang, et fixe le chandelier en argent encore enfermé dans sa main. Tu enlèves délicatement ses doigts de l'objet et pars en t'excusant. Tu aperçois Noé du coin de l'œil en train de se précipiter dans les escaliers, tu l'appelles mais il est déjà trop loin. Tu presses le pas et le retrouves à l'étage supérieur, dos à la rambarde. Tu t'apprêtes à le rappeler mais te cache derrière une plante en entendant sa voix paniquée :

- Non ! Laissez-moi, allez-vous-en !

Tu es trop basse pour voir la scène en entier mais tu remarques une main gantée se poser sur le dos de ton ami puis le surélever.

- Non non, NON !

Tu restes muette en voyant ton meilleur ami passer par-dessus la rambarde et s'écraser violemment au sol. Les deux valets disparaissent de ton champ de vision et une femme à la peau mate s'approche du corps de Noé. Tu en déduis, à son sein manquant, qu'il s'agit d'Angela, sa cavalière. Elle se penche pour lui murmurer quelque chose à l'oreille mais tu es trop loin pour entendre. Elle sourit malicieusement en se relevant et l'entraîne derrière elle en le tirant par les pieds. Après t'être assurée qu'elle se soit bien éloignée, tu sors de ta cachette tremblante. Tu hésites pendant un court instant à suivre les trainées de sang menant au cadavre de ton ami mais te ressaisis vite en te répétant que rien de tout ça n'est réel.

Les morts aussi savent danserOù les histoires vivent. Découvrez maintenant