À l'image de la Nuit : II

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Le père de Naradryan avait déjà été reconduit chez lui, sa maison reconstruite par les círdani, qui n'avaient pas chômés. Ren et moi vînmes lui rendre visite, accompagnés de nos trois enfants. Śimrod était reparti sur l'Elbereth avec Isolda.

Sirdhar Yllithainn était un ældien à l'air franc et honnête, avec une trace d'ombre sur son visage émacié. Ses cheveux étaient sombres, comme ceux d'Edegil, sans être tout à fait noirs, et ses yeux gris. C'était là, ainsi que j'avais pu le remarquer, les traits distinctifs des gens de Mebd. Une cour, m'avait expliqué Śimrod, qui avait autrefois son royaume dans une superbe forêt, et qui avait porté ses intérêts sur des causes justes. C'était également, m'avait-il dit, l'une des Cours les plus mieux disposées envers les humains : d'heureux élus y séjournaient parfois, libres de s'en aller quand ils le souhaitaient et de circuler comme ils voulaient, jamais contraints, trompés ni molestés. La patience de ceux de Mebd envers les autres races ignorantes des usages ældiens était réputée.

— Peut-être, aux yeux de certains, m'avait dit mon beau-père, ces ædhil apparaissent moins beaux et moins fascinants que les princes d'Ombre ou de Crépuscule, et, bien sûr, moins flamboyants que les rois et les reines de pure Lumière. Mais leur luminosité douce et tranquille suscite l'apaisement, et en vérité, elle est sans doute plus souhaitable que toutes les autres Clartés. Si le destin m'avait laissé le loisir de faire ce que je voulais de mon existence, j'aurais sans doute demandé à m'y installer.

Je parlais beaucoup avec Śimrod, et j'avais appris à l'apprécier grandement. Contrairement à Ren, qui avait du mal à s'ouvrir et à se dévoiler, Śimrod ne répugnait pas à partager ses compétences et son expérience. Et, puisqu'il avait vécu plusieurs dizaines de millénaires, ce savoir était vaste comme l'espace. Il avait toujours une petite histoire ou une anecdote à raconter, au plus grand plaisir d'Isolda, des enfants et de moi-même. C'était également un excellent pédagogue, qui aimait partager ses connaissances : il s'occupait beaucoup de mes enfants et les instruisait, d'un savoir que ni moi ni Ren ne pouvions leur donner.

Tous les jours, surtout en voyant la façon dont Isolda le regardait, j'hésitais à lui parler de cette humaine à qui il avait fait des enfants, et qu'Ardaxe d'Urdaban, d'après ce qu'avait vu Angraema dans sa rêverie, avait sauvée. Mais je pensais que c'était un peu prématuré, et renonçai, finalement, à avoir cette discussion avec lui.

— Je ne sais pas comment vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi et mon fils, fit Sirdhar en nous accueillant chez lui. Sans vous – vous en particulier, Baran (Il se tourna vers moi), mon petit serait mort.

— C'est grâce à votre fils si courageux que j'ai retrouvé moi-même mon petit dernier, Caëlurín, lui souris-je. Et c'est lui qui a tant insisté pour qu'on vienne vous chercher... Il craignait tellement que votre argonath soit consumée par les hordes de contaminés !

Sirdhar frissonna.

— Oui, quand je songe aux risques que je lui ai fait courir... Et à son inquiétude... Je me sens vraiment irresponsable.

— Ce n'est pas de votre faute, le rassura Ren. Lorsque l'ombre tombe dans le cœur d'un ædhel, il est difficile de résister.

Aelinael lui jeta un petit regard empli de culpabilité.

— Certes, mais songer que je l'ai laissé là, livré à lui-même, pendant des cycles entiers, alors qu'il venait juste de perdre sa mère... J'ai honte. Et puis... Vous savez qu'il y a deux avatars de l'Étranger à bord, cachés parmi la population ? Quand je pense à ce qu'ils auraient pu faire à mon petit... Rien que dans cette tour, de nombreux cristaux-cœurs ont disparu : c'est sans doute le sombre butin des Aonaranan, qui ont besoin d'âmes ædhil pour apaiser l'appétit d'Arawn !

Astres gelés (Le Dit de Rika III)Where stories live. Discover now