La décision d'Isolda : II

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Rika lui avait expliqué en long et en large, à son arrivée dans leur compagnie, à quel point son époux était droit, moral, bon et juste. Pour un ylfe, s'entend. Elle avait, notamment, beaucoup insisté sur son absence total de goût pour la chair humaine : « Craignant que je ne le soupçonne de sombres appétits, il a mis deux ans avant de céder à notre attraction mutuelle. Je sais que les ylfes de la Cour d'Arawn enlevaient des humains pour les dévorer, mais jamais – jamais – Ren ne serait capable de cela. À son bord, tu peux dormir sur tes deux oreilles. »

À l'époque, Ren était le seul mâle sur le navire. Elle ne comptait pas Círdan, l'ylfe à la chevelure de feu, qui ne savait même pas qu'elle existait. C'est ainsi, avec ces créatures : soit on attirait leur attention dans le mauvais sens, soit ils ignoraient les humains. Du moins, c'est ce qu'on racontait dans son village.

Ren représentait une sorte d'exception. Il traitait Rika comme une égale, et même, à certains égards, comme une supérieure, puisque c'était elle qui était responsable de beaucoup de décisions essentielles, sur le vaisseau. Il ne la maltraitait pas et ne cherchait pas à la dévorer. D'ailleurs, la viande, il en consommait peu, si ce n'est quelques blancs de cette chair bizarre qu'ils appelaient faux-singe. Il avait bien mangé le placenta de Rika après son accouchement, mais il l'avait fait uniquement parce que c'était une coutume de l'autre monde, comme lui avait expliqué la patronne.

Non, Ren était bien attentionné et parfait. Un peu froid, parfois, comme tout patron. Le seul problème, c'est que c'était un tueur. Un assassin de métier et de carrière, qu'il était difficile de faire changer d'avis une fois qu'il avait une cible en vue.

Et qu'il n'avait pas d'âme.

Isolda – sorcière de naissance – avait un don pour ça. C'est de cette manière qu'elle avait su que Śimrod était quelqu'un de bien vivant, et non pas la représentation holographique d'un mort, comme on lui avait alors expliqué. Elle pouvait voir les âmes des gens. Cela se manifestait par une sorte d'aura lumineuse, qui irradiait autour d'eux. Toute créature en possédait : les humains, les ylfes, les orcs... Même les crapauds. Or, il n'y avait rien de tout cela chez le mari de Rika. Aucune aura ne brillait autour de lui. Rien du tout.

— Papa, non ! hurla Ardamirë en ældarin à son père, lorsqu'elle vit cette arme redoutable en forme de faucille qu'ils appelaient « lame triple » apparaître dans ses mains. Quant à Roggbrudakh, il se ramassa sur lui-même, avant de sortir un espèce de coupe-coupe rouillé de sa ceinture de cuir tanné.

— Je vais faire vite, expliqua froidement Ren à sa fille. Il ne souffrira pas.

— Je te l'interdis ! menaça la jeune ældienne. Si tu fais ça... tu n'es plus mon père ! Je ne te parlerai plus jamais !

— Je suis désolé Arda, mais je préfère ne plus être ton père plutôt que de prendre le risque que toutes les femelles de ce bord – toi y compris – soient violentées par ton ami.

Isolda baissa légèrement la tête. Elle pensait surtout que Ren ne se souvenait plus du tout qu'il était le père d'Ardamirë, et que perdre son estime ne lui faisait ni chaud ni froid.

— Roggbrudakh n'est pas un violeur ! Il m'a sauvé, au contraire !

L'orc se décida enfin à plaider sa cause.

— Roggbrudakh pas dun-dun Arda et Eren. Roggbrudakh pas dun-dun ylfes, ni humaines. Roggbrudakh ami Arda et Eren.

Isolda vit que Ren fronçait les sourcils. La façon de s'exprimer de Roggbrudakh ne lui faisait pas honneur : Isolda, pleine de compassion, regretta qu'il ne possède pas de perle d'ithyllid, comme lui avait donné Śimrod.

Astres gelés (Le Dit de Rika III)Where stories live. Discover now