Chapitre 8.

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Harry est penché au-dessus de moi. La croix qu'il porte à son cou tombe sur son torse nu, et je lui demande de l'enlever, car bientôt mes lèvres épouseront les siennes et je ne veux pas que Dieu s'en mêle. Bien sûr que nous sommes malades. Bien sûr que quelque chose ne va pas chez nous. Quelque chose dans le cerveau, quelque chose qui déraille ; bien sûr que j'ai envie de toi et de tes lèvres, et que quand je mourrai, je demanderai pardon. J'attendrai la rédemption. Son souffle est chaud quand il se penche pour chercher mes lèvres, son corps lentement vient rencontrer le mien, courbe contre courbe, peau contre peau, ventre contre ventre, c'est toi que je veux, tant pis pour la folie. J'accepte les barreaux d'une prison pour un baiser de toi, sur mon cou, sur mon ventre, à l'intérieur de mes cuisses. Mes mains se perdent dans ses cheveux, je m'entends dire Encore, encore, n'arrête jamais, je meurs si tu t'arrêtes. Dans le flou rouge et brûlant de la fièvre qui nous prend, j'attends qu'il me fasse sien, qu'il me prenne tout entier, qu'enfin on ne fasse plus qu'un, alors le monde sera enfin complet. Les plaies seront enfin cicatrisées. Les blessures de la guerre se refermeront, les fantômes s'envoleront vers le ciel, très très haut, pour devenir des étoiles. Des petits points minuscules dans l'univers. Maintenant mes mains serrent les draps bleus, mes poings s'accrochent aux barreaux de la tête de lit, « Tu as toujours été mon préféré », je l'entends qui murmure, et j'acquiesce en sentant mon ventre se contracter. « Est-ce que c'est un rêve ? », je lui demande, et il sourit en plongeant ses yeux verts à l'intérieur des miens. Pendant qu'il me regarde, il m'embrasse, et pendant qu'il m'embrasse, il me touche, et pendant qu'il me touche, il me parle, tout ça à la fois, dans un grand flot de pensées qui se mélangent. Bien sûr que c'est un rêve, mon amour. Bien sûr que c'est un rêve.

Quand j'ai ouvert les yeux, je pleurais. J'ai mis du temps à m'en rendre compte. Seul au milieu des draps froids et de mes songes éparpillés, avec l'envie de lui dans le ventre et dans la peau, je me suis touché et j'en ai eu honte. Je me suis touché en pleurant, pour faire partir le désir, pour m'en débarrasser comme on se débarrasse d'un poids sur les épaules. En me caressant sous les draps, je repensais aux temps où Harry m'appelait mon amour pour de vrai, mais en riant toujours, car nous étions jeunes et que nous ignorions tout du désir que nous ressentions l'un pour l'autre. Il avait commencé par me nommer « Mi Amor », pour rire des italiens transis d'amour, éperdument romantiques, puis il avait opté pour la version française. Mon amour. En classe, il chuchotait ça avec un sourire : passe-moi une feuille mon amour, tout bas pour que les autres n'entendent pas. Danse avec moi sur les docks mon amour ! Il s'amusait de mes joues qui se coloraient de rouge, et de l'embarras qu'il provoquait. Plus il en riait, et plus je prenais goût à ces mots sur ses lèvres. Même si ce n'était jamais rien d'autre que la plaisanterie amère d'un amour qui ne pourrait jamais éclore.

La tristesse m'a suivi toute la matinée. J'avais le cœur infiniment lourd, surtout quand les images de mon rêve me sont revenues plusieurs fois en travaillant au champs. J'essayais de les éloigner de moi et ça avait l'effet inverse. Bientôt, pour ne plus penser à lui, je me suis mis à penser à Marie. J'ai essayé de nous imaginer plus tard, mariés, avec trois ou quatre enfants – exactement comme nous en avions parlé la veille dans la cuisine. J'ai dressé un portrait idéal et je voyais les scènes dans mes pensées. J'entendais les rires d'enfants, les petites têtes blondes courir dans le jardin. C'était beau, mais ça sonnait faux. De toute façon ça n'a pas duré bien longtemps, car rapidement, Harry a retrouvé le chemin de mes pensées. J'ai continué à ratisser le sol inlassablement, récolter avec une forme de frénésie sourde les légumes qui me serviraient à tenir l'hiver ; car bientôt le sol deviendrait fertile, froid, gelé sous une couche de neige. J'aurais voulu qu'on m'enlève la faculté de penser pour ne devenir plus qu'un automate.

Dans la poche de mon pantalon, j'avais son coquillage avec moi. C'était la coque d'une palourde, et d'une certaine manière, sans que je ne puisse l'expliquer, je sentais sa chaleur irradier contre ma peau. En me la donnant, Harry lui avait conféré un peu de pouvoirs magiques, comme les vieilles pierres précieuses dont on raconte qu'elles peuvent attirer l'amour ou la gloire. Je ne sais pas quel pouvoir il avait donné au coquillage, mais quand je l'ai sorti de la poche de mon pantalon pour le serrer au creux de ma paume, j'ai senti un peu de tristesse s'envoler vers le ciel et libérer mon cœur.

Même les étoiles meurent en silence. (Larry.)Where stories live. Discover now