Chapitre 7.

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Naïvement, j'ai pensé qu'on se parlerait plus souvent après ça. Qu'une fois la langue déliée, une fois les mots sortis pour de bon, le reste viendrait naturellement. C'était faux bien sûr, et encore d'autres nuits se sont passées sans qu'on ne dise rien, assis l'un à côté de l'autre sous la lumière des étoiles. L'automne filait, le jour tombait plus tard, les nuits étaient plus fraîches. Harry avait l'air un peu moins triste depuis qu'on avait instauré le rituel de se rejoindre, même si la guerre n'était jamais loin dans nos souvenirs.


A côté de ça, je revoyais Marie. Elle avait disparu un peu brutalement de ma vie au départ de ma mère pour Paris, et je ne l'ai retrouvée qu'un mois plus tard, au début de novembre, quand je suis descendu au village pour aller chercher la pension de l'église. Elle était assise sur les marches au pied de la grande porte en bois, son menton appuyé contre sa joue, triste et ennuyée. Seule surtout – car elle n'avait pas le droit de voir beaucoup de monde, puisqu'elle passait le plus clair de son temps à aider son père en rendant tout un tas de services à l'église.« Bonjour Louis. », elle a dit doucement, et j'ai esquissé un sourire.


« Je ne t'avais pas vue depuis longtemps. »


« Moi non plus. Je sais que ta mère est partie vivre ailleurs, je suis désolée. »


Elle avait l'air vraiment sincère. J'avais entendu ça beaucoup de fois depuis le matin du premier octobre : les gens me croisaient au marché le matin, s'arrêtaient pour me dire bonjour, et c'était toujours la même chose. Toujours le même discours. On me disait : c'est injuste de laisser son enfant tout seul, mais ta maman devait avoir des bonnes raisons de le faire, si tu as besoin de quelque chose Louis notre porte sera toujours ouverte, et je sais qu'un jour, vous vous retrouverez. Saint-Malo était à l'époque un tout petit village et les gens m'avaient vu grandir, ils m'avaient connu si petit que je n'arrivais pas encore à aligner deux pas devant l'autre. Ils m'aimaient et je les aimais en retour, et il n'y avait aucune méchanceté dans leurs mots. Il y avait comme partout quelques langues de bois – mais même eux n'osaient trop rien dire.


J'allais récupérer ma bicyclette pour repartir en direction de la ferme lorsque Marie s'est levée des marches de l'église. Elle s'est approchée de moi, ses joues sont devenues rouges, et elle a dit quelque chose comme : emmène-moi, je ne veux pas passer la journée ici.


C'est ce que j'ai fait. Plutôt que d'aller dans les champs à la lisière de la ville, je l'ai conduite directement chez moi, et elle a posé beaucoup de questions en entrant dans le salon de la maison. Elle avait l'air de trouver ça drôle que je vive tout seul ici, et d'une certaine façon, ça l'était.


« Tu fais le ménage, alors ? », elle a demandé doucement, et elle a enchaîné sans attendre la réponse : « La cuisine et le linge ? »


« Je n'ai pas le choix. »


Je voyais dans ses yeux des idées se former. De grands rêves et de grands projets à propos d'un autre monde où les rapports humains auraient été inversés, et où elle se serait libérée de ces tâches pour laisser son époux le faire. Ça lui plaisait. Elle s'est assise directement sur la table en bois, les jambes dans le vide, et elle m'a regardé avec une curiosité douce préparer le repas. En réalité, j'avais tout appris par moi-même au départ de ma mère, n'ayant auparavant jamais eu à me soucier ni du linge, ni de la cuisine, ni du changement de draps, du ménage – ou d'autre chose que de ratisser les champs dehors.

Même les étoiles meurent en silence. (Larry.)Where stories live. Discover now