Finance

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L'argent. C'était une notion qui m'avait échappé depuis que nous avions quitté Paris. Sans carte bleue ni compte en banque, j'avais vécu aux dépens de mon Sire qui me fournissait quelques sous en fonction de son humeur. Elle avait toujours payé pour tout : de la bière à l'aire d'autoroute, aux vivres dans le réfrigérateur du chalet ; de la voiture de location aux billets d'avion ; même mon repas avec Malika avait été offert par Amy, grâce à l'argent qu'elle me donnait régulièrement. Et je ne m'étais pas posé la moindre question jusqu'à ce jour où je la vis sortir une liasse conséquente pour acquérir de nouvelles places en première sur un vol pour l'Italie, nous allions à Naples.

— D'où te vient tout cet argent ? lui demandai-je une fois dans l'aérogare à attendre notre heure.

— Heureuse que tu te soucies enfin un peu de ça, mon cher, souffla-t-elle. Lorsque je ne serai plus là, tu devras subvenir à tes besoins.

Je décidai de ne pas relever cette nouvelle allusion à un hypothétique départ et me contentai d'un regard insistant. Ce qui eut pour effet de dessiner un sourire sur son visage, barré par ses lunettes de soleil.

— Chaque Choisi voit midi à sa porte en ce qui concerne les revenus. Il y en a même qui vont jusqu'à se trouver un travail tout ce qu'il y a de plus normal, dans des bureaux ou des usines. Ceux-là sont des imbéciles, selon moi. La plupart d'entre nous, les vieux, avons investi dans l'immobilier et vivons de nos rentes. Les récents sont plus volontiers attirés par le trafic d'armes, de drogue, de filles, tout ce qui rapporte vite et beaucoup. Malheureusement, ça demande une implication forte et ce n'est pas mon truc. Il y a aussi des moyens un peu moins répandus : tueur à gages, trader, voleur sur commande, espion ou hacker, comme ce cher Blake... La liste est longue, trouve ce qui te plaira, là n'est pas ma mission.

Je ne relevai pas non plus la grimace lorsqu'elle mentionna son Sire.

— Mais toi ? insistai-je encore.

— J'ai fait beaucoup de choses différentes, répondit-elle en se levant alors qu'on appelait les passagers de première classe. J'ai pas mal chapardé dans ma jeunesse. Ça m'a beaucoup rapporté. Grâce à cela, j'ai pu investir dans une entreprise qui ne valait pas grand-chose mais qui, selon certains qui s'y connaissaient, allait faire beaucoup parler d'elle. Ça n'a pas vraiment marché en réalité, mais j'ai pu le comprendre assez tôt et revendre mes parts avant le drame. J'avais doublé ma mise. J'ai trouvé le jeu intéressant, alors j'ai continué. Aujourd'hui, je touche des dividendes d'une centaine de sociétés sur des dizaines de comptes différents. Voilà comment je gagne ma vie. J'ai fini par me lancer dans l'immobilier aussi. Le chalet dans les Pyrénées est d'ailleurs à moi.

— Mais je ne pourrai jamais me faire assez d'argent pour vivre correctement ! objectai-je. Je n'y connais rien en immobilier ou en bourse.

— Tu apprendras. Sache d'abord que ton ancien compte en banque est toujours actif. Je ne l'ai pas clos. Et puis, je t'aiderai au début, ne t'en fais pas.

— Tu vas me faire un prêt, tu veux dire ?

— Tout à fait ! Il ne te reste plus qu'à choisir ton nouveau métier, fit-elle en tendant son passeport à la charmante demoiselle à l'embarquement.

Je lui présentai le mien ensuite et rattrapai ma compagne. Il n'y avait pas que l'argent qui allait être un problème. Finalement, pensai-je, ce serait sans doute le moins grave. Je n'avais pas besoin de manger, je dormais peu et ne craignais pas le froid, camper dehors ou dans des squats ne serait pas dangereux pour moi. En revanche...

— Et pour les papiers d'identité ?

— Ton cerveau fonctionne à plein régime, aujourd'hui, dis-moi ? se moqua-t-elle. Il te faudra trouver des gens de confiance. Les humains font ça très bien et sont assez faciles à contacter. C'est un mortel qui a fait nos passeports, d'ailleurs. Comme tu le vois, ça n'a posé aucun problème. Ne leur dévoile jamais qui tu es, c'est la seule règle. La plupart ne veulent de toute façon être au courant de rien. Ils font leur boulot tant qu'ils sont payés. On en revient toujours à l'argent. Les bouteilles dont tu auras besoin pour vivre ont un prix, elles aussi.

— Et comment saurai-je où les trouver, ces fameuses bouteilles ? fis-je en franchissant la porte de l'avion et découvrant l'espace incroyable qui nous était réservé.

— Je t'apprendrai à reconnaître les signes. Il y a toujours au moins un vendeur dans chaque ville importante du monde. Et dans le pire des cas, sers-toi à la source.

Elle avait eu un regard insistant pour une hôtesse en disant cela. Elle était grande et je sentis tout de suite l'eau me monter à la bouche en l'observant. Elle était en pleine forme, son sang devait être délicieux, pensai-je en découvrant son parfum épicé. Je laissai mes yeux longer ses courbes attrayantes. Elle n'était pas plus jolie que la moyenne, mais son physique m'intéressait bien moins que son sang...

— Oublie-la sur le champ ! m'interrompit Amy. Pas dans un avion. Tu serais bien embêté avec son corps, chuchota-t-elle avant de se mettre plus à son aise.

Nous n'échangeâmes plus un mot jusqu'au décollage. Une fois à bonne altitude et après le speech de l'équipage, je repris la parole.

— Pourquoi l'Italie ? demandai-je sans préambule.

Elle m'adressa un de ses sourires à se damner, mais garda les lèvres closes. J'insistai un peu et elle se contenta de hausser les épaules avant de basculer la tête en arrière, puis ferma les yeux.

Pour une raison que j'ignorais, je ne méritais pas de réponse.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant