Tu me plais bien

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Ce n'est que le lendemain que je pris conscience de ce qui s'était passé sur ce canapé désormais taché de sang. La marque rouge bourgogne me ramena des images désordonnées de notre simulacre et de mon honteux abandon. J'étais devenu sa chose et je détestais ça. Pas assez pour quitter les lieux et renoncer à elle, mais suffisamment pour me jurer de ne plus perdre le contrôle de moi-même à nouveau.

Je voulais son pouvoir, désormais. Après tout, ne l'avait-elle pas dit : elle m'avait choisi. Qu'elle me transforme, alors !

J'ignorais quelle quantité de sang elle avait ingurgitée, mais je me sentis faible les deux jours qui suivirent. Au matin, Émilie me fit un véritable pansement, avec soin. Elle m'expliqua qu'elle avait fait une incision profonde tout en évitant l'artère qu'elle ne savait réparer seule. La plaie cicatriserait donc sans traitement particulier. Nerveux, je tremblais encore à son contact et elle en sourit.

— Tu n'as pas à avoir honte, fit-elle en terminant son ouvrage. Vous réagissez tous comme ça. C'est un événement traumatisant pour un être humain normalement constitué.

— Tu veux dire que tu fais ça souvent ? demandai-je, blessé dans mon orgueil.

— Ne fais pas l'enfant, Sébastien. Tu ne t'imagines pas être le seul homme de ma vie ?

Je n'imaginai rien, en réalité. En revanche, je la voulais pour moi seul, c'était évident.

— Et combien en as-tu transformé, alors ?

Elle caressa mon bras et je crus sentir dans son regard une pointe de compassion. Elle ne répondit cependant pas à la question et je n'étais plus sûr de vouloir qu'elle le fasse.

— Quand vas-tu faire de moi un Vampire ? demandai-je alors.

— Un Choisi, corrigea-t-elle tout de suite, une fois de plus.

Elle me fixa un instant en silence. Dehors, j'entendais quelques passants revenant du marché sur la place. Le chalet était à la limite du village, à moins de cent mètres de la forêt, les promeneurs étaient rares.

— Je ne sais pas, reprit-elle enfin. Tu me plais bien. Vraiment. Quand tu seras transformé, nous n'aurons plus la même relation, et j'ai peur que ça me manque un peu.

Elle se leva, fit quelques pas, puis m'invita à la suivre. Nous empruntâmes à nouveau le chemin du lac. Je profitai de la randonnée pour lui parler. Il était hors de question de rester son jouet indéfiniment. J'appréciais sa présence, et notre expérience de la veille, malgré son goût amer, avait eu sur moi un effet aphrodisiaque certain. Mais je ne voulais pas demeurer un larbin qui prendrait son pied en offrant son sang. Je désirais passer à l'étape suivante.

— Laisse donc les choses aller à leur rythme, déclara-t-elle sans émotion. Devenir un Choisi, ce n'est pas s'orienter vers un métier ou un passe-temps. C'est tout ton corps qui va se transformer, faisant de toi une bête. Un animal assoiffé de sang, pour qui tout semblable sera réduit à un repas potentiel. Tu souffriras pendant des jours, des semaines peut-être, si tu n'es pas bien préparé. À tel point que tu en appelleras la mort de toute ton âme.

— Et comment comptes-tu me préparer ? demandai-je en haussant le ton malgré moi, me désintéressant de ces histoires de bête et de douleur.

Elle voulait me faire peur, j'en étais certain. Mais cela n'avait aucun sens, elle l'avait dit : elle m'avait choisi. Je serai donc bientôt un Vampire.

— C'est ce que nous faisons en ce moment même. Nous rendons ton corps plus fort petit à petit et tu t'habitues chaque jour un peu plus à l'inévitable solitude qui t'attend.

— Je ne serai pas seul, rétorquai-je. Tu seras là, n'est-ce pas ?

— Au début, oui, je ferai ton éducation. Mais comme je te l'ai dit, nos relations vont changer. Les immortels ne sont pas des loups et ne vivent pas en meute. Lorsque tu seras prêt, je te quitterai... pour de bon.

— Et hier, c'était quoi ? fis-je alors, en refusant l'éventualité d'une séparation. C'était pour mon entraînement aussi ?

— Nenni !

Elle marqua une pause, stoppa son pas, que j'avais encore du mal à suivre, et me fit face. Accroupie sur un petit rocher, son regard plongea dans le mien et je vacillai un instant, surpris, essoufflé et... charmé par ses yeux gris pleins de malice.

— Lorsque je me frottais à toi, hier, c'était pour mon plaisir personnel.

Je souris. Un peu gêné. Un peu fier. Elle descendit de son perchoir, vint se coller à moi et passa ses bras autour de mon cou, avec une lenteur exagérée. Je sentis sa poitrine se presser contre mon torse et ses soupirs dans mon oreille. Comme la veille, sa main se perdit dans ma chevelure et je me raidis.

— Tu me plais bien, reprit-elle à voix basse. Et j'ai constaté, depuis le début, que je suis ton genre. Or, un homme excité — tout comme une femme, à vrai dire — voit son rythme cardiaque et son flux sanguin accélérer. Te voler du sang dans ces conditions me réclame beaucoup moins d'efforts et me permet de me laisser aller au plaisir simple de boire à ta source.

Elle frôla ma bouche avec la sienne, me donnant le vertige par la même occasion.

— Notre proximité, susurra-t-elle ensuite, ne me fait rien.

Délicatement, avec sensualité, elle passa la pointe de sa langue sur ma lèvre inférieure et fit demi-tour. Je sentis mes jambes faiblir et m'appuyai contre un arbre en la regardant s'éloigner. Cette femme était le diable. J'ignorais comment, mais elle m'avait rendu accro.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant