Ma transformation

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Ma transformation. J'avais patienté pendant un mois. Quatre semaines d'effacement quasi total, dans un chalet que je ne quittais que pour m'isoler davantage au bord d'un lac. Trente jours à subir des prélèvements sanguins réguliers et pas toujours agréables. Sept cent vingt heures en compagnie d'une femme qui me faisait autant fantasmer que frémir.

Lorsque, à cause de la douleur, je me réveillai en sursaut au beau milieu de la nuit, je ne sus pourquoi je hurlais : la joie de devenir enfin Choisi ou l'atroce souffrance de sentir mes entrailles à l'air.

Une petite ampoule, à l'autre bout de la chambre, éclairait tout juste la pièce. L'ombre menaçante de mon Sire se découpait sur le mur, au-dessus de ma tête. J'en détachai mon regard pour le porter sur elle, un large couteau entre les doigts, finissant de m'ouvrir le bide. Toutes les douleurs que j'avais ressenties jusque-là n'étaient rien en comparaison.

Elle m'avait attaché les chevilles et les poignets, mais je me débattais de toutes mes forces. Je ne voyais que la mort au bout du chemin et cela me terrorisait. Elle passa une main affectueuse, dégoulinante de mon propre sang, sur mon front. Elle approcha son visage, déposa un baiser sur ma joue et me chuchota :

— Chhht ! Essaie de te contenir, futur Choisi. Les chasseurs vont débarquer, sinon.

Je sentais de façon précise le liquide qui coulait de mon abdomen et se répandait sur le drap. La douleur diminua après qu'Émilie eut retiré la lame de mes chairs. Je me forçai à respirer calmement et, comme pour m'encourager, elle m'embrassa avec tendresse. Ce fut la seule et unique fois qu'elle eut un véritable geste doux et gratuit à mon égard. Lorsqu'elle s'éloigna de moi, je la vis reprendre le couteau qu'elle avait déposé et tous mes muscles se contractèrent. Elle tendit son bras gauche au-dessus de mon ventre et l'entailla profondément à plusieurs reprises, en grimaçant. Je ne sentis pas, dans un premier temps, son sang qui se déversait en quantité sur moi. Puis, petit à petit, une brûlure m'étreignit les entrailles. Comme un acide qui se frayait un chemin entre mes organes, la douleur s'intensifia de nouveau. Je retenais ma respiration, haletais, soufflais comme un bœuf, rien n'y fit : je ne pus contenir un nouveau hurlement. Je compris pourquoi elle n'avait pas allumé quand, malgré moi, je relevai la tête pour observer ma blessure. Dans la pénombre, je ne vis presque rien et j'en fus ravi.

Était-ce pour m'achever ou, au contraire, profiter de la décharge d'adrénaline que je venais de recevoir ; elle plongea jusqu'au poignet dans la plaie béante, et je ne pus plus respirer. Il y avait une main à l'intérieur de mon abdomen, grand ouvert ! La bave et le cœur au bord des lèvres, je lui lançai un regard désespéré. Comment pourrais-je survivre à pareil traitement ? Je venais de pulvériser le record de pulsations par seconde et chaque battement était un supplice : je faisais une crise cardiaque. Et elle souriait ! Je la haïssais en retour.

Inutile de vous dire qu'en plus de la torture, l'épouvante à l'état brut avait fait son apparition. Et si je ne me réveillais pas ? Si j'étais en train de vivre mes derniers instants sur terre ? L'avant-bras d'une femme sulfureuse plongé entre mon foie et mon estomac. Était-ce ça, l'ironie ? Je vomis.

J'aurais voulu avoir la présence d'esprit de diriger mon jet vers elle, me venger avant de quitter ce monde ingrat. À la place, je souillai la literie pleine de sang et de sueur. J'allais mourir dans des draps sales. Cette pensée, sortie de nulle part, me fit sourire... une seconde. Juste avant une douleur plus forte encore dans le cœur. Une crampe cardiaque.

Au même instant, mes poumons se vidèrent d'un coup. L'intensité de la lumière diminua un peu et je braquai mes yeux sur les siens. Je la maudissais, mais je ne voulais pas la quitter. En une fraction de seconde, la souffrance s'évanouit. Je perdis l'ouïe et l'odorat presque en même temps. La dernière image, floue, que j'eus, fut son visage souriant... mais inquiet.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant