La faim

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Un Choisi qui a faim, au contraire d'un humain, peut attendre de longues heures afin de déguster son mets dans les meilleures conditions. Avec le temps, les vieux Choisis pouvaient même jeûner plusieurs semaines. Je n'avais pas cette patience, bien sûr, voilà pourquoi je me nourrissais encore à l'aide des bouteilles. Mais ce jour allait marquer mon entrée dans le monde des suceurs de sang, pour de bon. De retour à l'hôtel, Amy me confia une mission.

— Ta première, ajouta-t-elle avec un sourire sardonique des plus déconcertants. Trouve une femme pour ce soir. N'importe qui, blanche ou noire, jeune ou vieille, libre ou non, belle ou moche, peu importe. Je veux que tu la séduises, il paraît que tu es doué pour ça, et que tu la ramènes dans la chambre après le dîner.

J'ouvris de grands yeux et elle sourit de plus belle.

— Arrange-toi pour qu'elle n'ait qu'une envie en tête en franchissant cette porte.

— Mais tu seras où ? demandai-je bêtement, déclenchant un petit rire de son côté.

— Où penses-tu que je serai ? Je t'attendrai ici, bien sûr. Rassure-toi, je n'interviendrai qu'en cas de nécessité. Mais j'insiste : pas sa chambre ni une pièce quelconque de l'hôtel, notre suite. Je n'ai pas l'intention de courir les étages pour te retrouver.

— Je dois l'inviter au restaurant ?

— Libre à toi, mon apprenti. Fais comme bon te semble. Je veux te voir au lit avec une damoiselle ce soir... À moins que tu ne préfères un homme ? lâcha-t-elle, taquine.

— J'aime mieux les femmes...

Et je la quittai sans demander mon reste. L'après-midi était déjà bien entamé, et à moins de trouver une prostituée, il me fallait un minimum de temps pour amener une conquête dans mes draps. L'atmosphère particulière des soirées entre amis permettait bien souvent de sauter des étapes. Dans les conditions présentes, c'était un véritable défi ! Et il me plaisait. J'imaginais sans trop de peine comment se terminerait la fête, si Amy assistait à nos ébats. J'étais à la fois désolé pour sa pauvre victime et excité à l'idée de faire l'amour à une autre devant elle. Ma vie auprès de mon Sire était définitivement pleine de surprises.

C'est en centre-ville que je découvris sur qui jeter mon dévolu. Ce fut son regard appuyé, lorsque je la croisai dans la rue, qui me décida. Pour ma part, je la trouvais quelconque, mais quelle importance cela pouvait-il avoir ? C'était une jeune femme noire aux longues tresses, parée d'un sourire enjôleur et d'une grande robe légère aux couleurs chatoyantes. Je rebroussai donc chemin et marchai un peu avec elle en commençant mon baratin. Je lui racontai que j'étais en voyage d'affaires et que je ne connaissais rien de la ville, ce qui n'était pas un mensonge. Elle me proposa de me montrer les incontournables — poterie et forge traditionnelles — et nous terminâmes dans un bar. Je commandai un cocktail au hasard sur la carte, sachant que je ne le boirais pas. Amy me donnait régulièrement de l'argent liquide, que je ne dépensais jamais, ce fut une excellente occasion.

La jeune femme me raconta un peu sa vie, elle était surveillante dans un collège, non loin. Le courant passait entre nous, et dans d'autres circonstances, j'aurais apprécié la situation sans en chercher plus. Mais je ne pouvais penser à autre chose qu'à mon Sire dans un coin de la chambre, le regard braqué sur nos deux corps nus dans le grand lit, sous le ventilateur. C'est à peine si je remarquai la main de ma conquête qui caressait la mienne.

En un rien de temps, le soleil disparut à l'horizon et Malika commença à parler de rentrer. C'était bien entendu inimaginable. Je lui proposai donc de finir ce charmant après-midi au restaurant de mon hôtel, réputé très bon en cuisine française. Elle accepta sans difficulté et je me retrouvai avec un problème de taille : le repas. Pour avoir essayé la veille un simple croissant, volé sur le plateau d'Amy au petit déjeuner, je savais qu'il était hors de question pour moi d'ingurgiter quoi que ce soit d'autre que du sang. Je lui offris de choisir son entrée et son plat et me contentai d'un tournedos Rossini. Je n'eus aucun mal à expliquer qu'avec pareil morceau de viande, commander autre chose était pure folie. Mon cœur accélérait au fur et à mesure que le dîner avançait. Je voyais bien que mon trouble ne la laissait pas indifférente. Ses sous-entendus et œillades coquines me procurèrent l'excuse que j'attendais pour esquiver la dégustation de mon pavé, que j'avais découpé encore et encore sans jamais en mettre une miette dans ma bouche.

— Peut-être puis-je vous suggérer de prendre le dessert dans ma chambre afin que vous y soyez plus à votre aise ? proposai-je avec mon plus beau sourire.

— Pensez-vous vraiment que ce soit raisonnable, Sébastien ?

Elle aimait se donner cet air bourgeois, mais j'avais noté de nombreuses fautes de français dans ses constructions de phrase. Je fis comme si de rien n'était, elle voulait se la jouer miss je-ne-sais-quoi et son escort boy. Je me levai, lui tendis la main, et deux minutes plus tard, elle faisait glisser sa robe sur le sol de la chambre, dévoilant des dessous aux charmes certains. Le bourdonnement dans mon crâne confirmait la présence d'Amy, même si je ne pouvais la voir. Je jubilais...

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant