Blake

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J'avais été assez surpris que nous nous rendissions sur le continent africain, où le soleil régnait en maître absolu. Je n'en laissai rien paraître, mais j'étais terrorisé rien qu'en pensant à exposer ma peau aux rayons de l'immense boule de feu.

— Ce que tu as pu voir dans les films n'est nullement le reflet de la réalité, déclara mon Sire, en constatant que j'hésitais à sortir de notre hôtel de luxe, et en particulier de son ombre projetée sur le sol.

Pour autant, elle resta derrière moi, attendant que je m'avance en plein cagnard, un léger rictus sur le visage. Je l'avais vue à de nombreuses reprises sous la lumière du printemps, dans les Pyrénées, et je savais qu'elle ne risquait rien. Pourtant, une peur indicible me clouait sur place. Nous étions arrivés en plein milieu de la nuit, et depuis ma transformation, je n'avais plus aperçu le soleil qu'à travers les rideaux clos de notre chalet. J'avais un costume couleur crème, une chemise blanche en coton et un panama sur la tête : j'étais à l'abri. Las de mon ridicule et de l'inertie de ma compagne, qui ne semblait pas pressée, je fis un pas hors de l'ombre. Le cœur battant, j'avançai un peu plus, soulagé de ne pas me mettre à fondre, mais toujours inquiet.

— Tu vois ! fanfaronna-t-elle. Tu es encore là.

Je ne relevai pas ses sarcasmes, trop préoccupé de mon propre sort. Je percevais la chaleur étouffante de l'atmosphère togolaise et la lumière éblouissante me piquait les yeux. Mon chapeau n'y changeait rien. Amy me tendit une paire de Ray-Ban et je me sentis plus à l'aise de suite. Nous commençâmes à marcher dans la large rue.

— Si tu n'aimes pas ce modèle, choisis-en un autre, mais garde toujours tes lunettes après le lever de soleil si tu ne veux pas finir aveugle. Tu ne le resterais pas, puisque ton corps se régénère à l'infini, mais ça n'est pas agréable. Crois-moi.

Cette fois, elle avait troqué ses tenues courtes et aguichantes pour une longue robe couleur sable. Elle était tout aussi charmante qu'à l'accoutumée, mais paraissait bien plus sage.

— C'est mon Sire, il est vieux jeu, me répondit-elle lorsque je lui fis remarquer. Je lui dois le respect, tout comme toi, ne l'oublie pas.

Je gardai pour moi ce que m'inspirait cette réflexion et le ton sur lequel elle me l'avait assénée. Nous marchâmes à peine quelques minutes pour nous rendre dans un autre hôtel de luxe, où le fameux Blake nous attendait déjà. La chaleur était déjà à la limite du supportable. Je sentis un très mince changement d'intensité dans le bourdonnement familier qui m'accompagnait tant que j'étais près de mon Sire, signe incontestable que nous avions trouvé notre interlocuteur.

La climatisation du hall me fit le plus grand bien. Amy se plaça légèrement en avant lorsque nous fûmes en vue de son Sire et je déduisis que les apparences étaient importantes. Au moins face à lui. Ainsi gardai-je la tête basse, mais juste ce qu'il fallait pour montrer que j'avais compris qui était aux commandes. Je voulais pouvoir le regarder dans les yeux. J'avais aussi mon honneur à défendre. Surtout devant Amy.

Blake n'avait l'air ni d'un Dracula ni d'un Lestat, mes deux seules références en la matière. Il avait bien un petit quelque chose de Tom Cruise, mais plus dans le genre Top Gun, avec son jean serré et sa veste de cuir malgré la météo extérieure.

— Salut ! fit-elle plus froide que jamais et s'arrêtant à deux pas de lui, moi un pas plus loin.

— So, this is the one ? demanda-t-il d'une voix profonde, qui tranchait avec son apparence juvénile. The one that made you change your mind...

Je le découvris un peu plus lorsqu'il ôta sa casquette des Lakers. C'était un gamin ! À peine dix-huit ans, selon moi.

— Sébastien Dequesnne, lâcha Amy d'un ton qui me laissa deviner un sourire. Il est français, comme je te l'ai déjà dit.

— Pardon, reprit-il avec un horrible accent anglais. Quand l'as-tu transformé ?

— La semaine dernière.

Blake me détailla en s'approchant. Je me sentis comme une vulgaire marchandise qu'on évalue avant un éventuel achat. Il ne manquait plus qu'il me tournât autour.

— As-tu des projets d'avenir, Sébastien ? demanda-t-il.

Je risquai un œil vers Amy avant de répondre. Je n'étais pas censé lui adresser la parole, alors que faire ?

— Pas encore, tentai-je.

Il me tendit une carte de visite, sortie de nulle part. Là encore, j'hésitai avant de la saisir.

— Garde ça, m'ordonna-t-il. Lorsque Amy t'abandonnera, je pourrais avoir besoin de toi.

Il se tourna vers mon Sire, et je compris à son regard qu'elle n'appréciait guère ce qu'il venait de se passer. Pourtant, elle ne pipa mot, alors j'empochai la carte sans la lire. Blake m'accorda de nouveau son attention.

— J'ai besoin d'hommes en France, ajouta-t-il, mais si tu aimes voyager, je pourrais aussi avoir des missions pour toi.

Il n'ajouta rien de plus et s'éclipsa aussi soudainement qu'Amy en avait l'habitude. Je souris alors en me demandant si j'allais moi aussi prendre ce réflexe.

— Ça s'est bien passé, déclarai-je.

— Sortons, fit-elle, joignant le geste à la parole. Tu vas recevoir ta leçon du jour. Comment vivre en plein soleil ?

Cette entrevue ne lui avait pas plu, elle cherchait à éviter le sujet.

— Il suffit de mettre des lunettes, fis-je en haussant les épaules.

— Quel naïf tu fais !

Dehors, Amy fit un petit détour pour contempler une vitrine avant de rentrer. Peu à peu, je sentis une légère brûlure sur ma peau. Sur la totalité de mon corps, à vrai dire. Amy marchait d'un pas lamentablement lent et je n'osai me plaindre, trop fier. Pourtant, je souffrais et avais l'impression que chaque frottement de tissu sur ma peau m'arrachait des quantités invraisemblables d'épiderme. Comment la situation avait-elle pu dégénérer aussi vite ? 

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant