Chapitre 1 - Terminus Gary.

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La pluie tombait drue sur Chicago ce soir-là. Jane, assise au fond du bus, regardait les gouttes de pluie rebondir sur la vitre. Des voix résonnaient en échos dans sa tête, " Tu as gâché ma vie " disaient-elles, ou encore " Je te déteste, j'aurais voulu que tu meures à sa place ". Absorbée dans ses pensées, Jane ne remarqua pas que des larmes tombaient sur ses joues. Quand le chauffeur annonça que le prochain arrêt était le terminus pour Gary, Jane arrêta de rêvasser, elle sécha ses joues et regarda ses cuisses où étaient posées ses mains. Ses yeux rouges légèrement gonflés suffisaient à comprendre qu'elle était envahie d'une profonde tristesse. Une femme qui était à deux rangers devant elle, et qui devait avoir environ la cinquantaine se tourna pour vérifier si elle continuait de pleurer. Jane lui fit un faux sourire et cacha ses yeux à l'aide de ses mèches châtain clair. Lors du trajet, entendant Jane sangloter, la vieille femme s'était déplacée à côté d'elle et lui avait donné un mouchoir.

— Est-ce que ça va aller ? Avait-elle demandé poliment.

Jane répondit "oui" d'un signe de tête et prit le mouchoir.

— Si vous en sentez le besoin, vous pouvez m'en parler, reprit la vieille femme.

Jane ne répondit pas, pourquoi irait-elle se confier à une inconnue ? Qu'est-ce que ça changerait ? De toute manière elle ne la comprendrait pas. La vieille femme remit en place ses lunettes qui tombaient de son nez et elle regarda Jane, attendant une réponse. Jane hésita, elle sécha ses joues avec le mouchoir, puis elle prit une profonde inspiration.

— Des histoires de famille, fit-elle en essayant de ne pas re pleurer.

La femme prit une grande inspiration à son tour, elle s'enfonça dans son siège et regarda le plafond du bus pensive. Lorsqu'elle leva sa tête, Jane remarqua que les courts cheveux noirs et lissent de la vieille femme ne bougèrent pas. "Est-ce qu'elle a une perruque ?" Pensa-t-elle. Elle se sentit idiote quand elle se rendit compte de sa question. Elle était en larmes dans un bus en direction d'une ville qu'elle ne connaissait pas, assise à côté d'une inconnue, et la seule chose qui lui vint à l'esprit était de savoir si cette femme portait une perruque. La vieille femme était noire, petite et replète, elle avait un regard innocent qui lui donnait un air stupide. Jane n'avait pas envie de lui parler, elle savait que la discussion ne mènerait à rien et que cette femme n'y changerait rien.

— " Famille" répéta la vieille femme dans ses pensées, un lourd sujet n'est-ce pas ?

La femme continua de regarder avec insistance le plafond, Jane comprit qu'elle était en train de se remémorer des souvenirs. Elle devait probablement penser à sa famille, à ses enfants, ou ses petits-enfants, vu les rides qui se dessinaient sur son visage. Elle devait penser à son mari, ou peut-être était-elle veuve ? À ses parents, ou peut-être étaient-ils déjà morts vu son âge avancé ? Pensait-elle à des souvenirs heureux, ou des souvenirs tristes ? Avait-elle, elle aussi des histoires de famille ? Jane n'arrivait pas à deviner.

— Vous aussi vous avez des histoires de famille ? Demanda Jane qui ne supportait plus le silence pesant.

La vieille femme sortit de ses pensées, regarda Jane comme si elle venait de poser une question bête.

— Tout le monde en a, mon enfant ! S'exclama-t-elle bêtement.

Le simple fait d'entendre mon enfant irrita Jane. Vous n'êtes pas ma mère, vous n'avez pas à m'appeler comme ça ! Pensa-t-elle. Voyant l'expression perplexe de Jane, la vieille femme lui fit un sourire, elle regarda à l'avant du bus et pointa son index sur un homme.

— Vous voyez ce monsieur ? Demanda-t-elle le doigt toujours pointé sur l'homme et le regard tourné sur Jane. Je suis prête à parier ce que j'ai de plus cher au monde que lui aussi a des problèmes de famille. Une famille parfaite, ça n'existe pas !

At Last [Pause]Where stories live. Discover now