Une hésitation

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    "Donne moi un indice sur la personne qui m'envoie ces courriers...!"

    La dernière fois que Seongwha avait ressenti ça, son oncle venait de le pousser sous la cascade de la rivière. Absolument ténanisé, il fixa Hongjoong avec des yeux énormes, la bouche entre-ouverte sans le moindre air qui passe. Ce n'était pas le plan. Le plan, c'était qu'il le lise chez lui, et qu'il n'y soit jamais confronté. Et maintenant il devait improviser une réponse qui serait la meilleure pour lui. Malheureusement, comme ce jour sous la cascade, ses capacités de réflection n'étaient pas optimales. Il était toujours figé, toujours sans respirer, une goutte de sueur roulant dans le creux de son dos, peu sûr de s'il était pâle comme un linge ou rouge comme une tomate, et chaque seconde qu'il passait à fixer Hongjoong en silence le faisait un peu plus mourir à l'intérieur.

    Il prit donc l'autre meilleure solution : la fuite.

    Enfourchant son vélo d'un saut le propulsant en avant, il pédala comme un forcené, driftant dans les tournants serrés et coupant à travers les chemins les plus difficiles, mettant en œuvre ses deux décennies d'entraînement pour survivre à la descente. Même une fois de retour sur une route normale qui ne mettait plus à l'épreuve ses suspensions, il continua d'accélérer, comme si le garçon pouvait par miracle le rattraper en courant assez vite. Le vent frais lui fouettant le visage l'aidait un peu à calmer sa panique fiévreuse, mais pas assez pour qu'il se calme réellement avant d'atteindre sa maison. Là, il rangea son vélo, rentra chez lui, et s'effondra dans son lit où il se roula en boule pour s'étouffer contre un coussin.

    Non mais quel idiot. C'était à peu près la pire chose qu'il pouvait faire. Maintenant, non seulement il avait l'air coupable, mais en plus c'était un lâche. Il gémit contre le tissu, ses pieds frappant le matelas. Et puis à quoi il s'attendait exactement ? Que ça allait toujours être comme ça, lui qui lui donne des lettres, lui qui les lit, et un status quo éternel ? Bien sûr que ça allait arriver, alors pourquoi tu n'as rien de prévu, gros malin ?

    Il roula sur le côté avec un nouveau gémissement étouffé. Comment il allait lui faire face après être parti comme un voleur ? Qu'est-ce qu'il allait croire ? Ce n'était pas comme s'il pouvait juste arrêter de le voir, il était le seul facteur et Hongjoong recevait des lettres écrites quotidiennes. Ce qui était plutôt pratique jusqu'ici, mais qui ressemblait subitement à une malédiction. Il avait exactement vingt-quatre heures pour trouver une réponse et s'en sortir.

Peut-être qu'il pouvait l'éviter en utilisant seulement la boîte aux lettres et fuir, mais jusqu'à quand il devrait le faire ? Au-delà de son attraction, Hongjoong était devenu son ami, et ce serait tout simplement cruel de l'abandonner comme ça. Il ne pouvait pas juste ignorer le problème. Mais il n'avait pas le cran d'avouer être l'auteur non plus.

Roulant de l'autre côté, il soupira. Est-ce qu'il pouvait raisonnablement l'orienter dans une mauvaise direction ? Le souvenir de Hongjoong souriant devant sa note remonta, et l'idée qu'il le fasse en pensant à quelqu'un d'autre lui brûla l'estomac d'une jalousie qu'il ne savait même pas posséder. Non, il devait être honnête. D'une façon ou d'une autre.

Honnêtement, il ne se serait pas posé pas autant de questions si ses chances ne lui semblaient pas si faibles. Il avait arrêté ses études très tôt, était dans un métier sans espoir de monter une quelconque échelle sociale - pas que ça l'intéressait, d'ailleurs -, n'avait pas beaucoup d'argent, refuserait toujours de quitter le village, n'était pas très intelligent, et physiquement, il se trouvait plutôt ordinaire. Son seul talent serait peut-être son sens de l'orientation dans les montagnes, et encore, ça reposait plus sur sa mémoire qu'autre chose. Alors pourquoi est-ce qu'un garçon de la ville voudrait de lui ? Il avait dû en voir des centaines chaque année, des mieux que lui. Il était heureux avec lui-même, mais pour qu'il retourne ses sentiments, quelqu'un devrait être heureux avec lui, et c'était différent.

Sortant enfin la tête du coussin, il se frotta les cheveux. De toute façon, c'était à Hongjoong de décider. Il ne pouvait pas le faire à sa place. Et il ne pouvait pas décider de quoi que ce soit à moins qu'il lui offre la question. Est-ce que ce n'était pas égoïste de laisser ses sentiments se développer et jouer avec les siens juste parce qu'il n'avait pas le courage d'être direct ?
Ses yeux errants tombèrent sur les bouteilles en verre vide sur sa table de chevet. C'est vrai, il devait toujours noter sa revue de leur goût... Oh, non, maintenant il allait définitivement reconnaître son écriture et la comparer aux notes !

Son regard s'éclaircit brusquement, l'ampoule dans sa tête recevant enfin l'électricité dont elle avait besoin. Il allait la comparer aux notes. C'était parfait ! Comme ça, il n'avait pas à dire quoi que ce soit, il ne serait pas là quand il comprendra, et il aura juste à assumer les conséquences la prochaine fois ! Il lui avait demandé un indice, pas un aveu. Et si il était incapable de se déclarer, il pouvait écrire une revue et lui donner.

Motivé, mais un peu nerveux, il s'assit à son bureau pour écrire. Il sortit deux papiers ; Un grand, pour lui expliquer que les myrtilles sauvages étaient un bon choix, et un autre, pour lui offrir un autre morceau de son cœur.

Alors qu'il pédalait vigoureusement sous les nuages rose et orange et du matin, l'air froid de la nuit s'accrochant encore à lui, il se prit à espérer. Espérer que quand il arriverait devant la bergerie, Hongjoong serait là. Espérer qu'en le voyant, il ne soit pas en colère ou déçu. Espérer qu'en lui donnant son "indice", il comprendrait pourquoi il avait fui.

Espérer que, peut-être, le sourire qu'il avait donné à ses lettres, puisse lui être adressé à lui.
Et c'est avec ces espoirs qu'il arriva à l'entrée de l'enclos.

[Le Vent de la Montagne] - Hongjoong X Seonghwa Where stories live. Discover now