Prologue

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Il restait là, face à la porte, encore sous le choc d'avoir été mis dehors. Il avala sa salive et, mettant ce qui lui restait de fierté de côté, toqua doucement au battant. Une fois. Deux fois. Trois fois. Il s'acharna ainsi plusieurs minutes avant de renoncer. C'était inutile. Son père ne lui ouvrirait pas. Il ne lui ouvrirait plus. Pas après l'avoir jeté hors de la maison.

Nathan poussa un long soupir, ne sachant pas quoi faire. Il se gratta furieusement les mains, pleines de croûtes, et grimaça. Les multiples petites plaies de ses paumes se mirent à saigner et il pesta. C'était bien le moment ! Il n'avait rien pour les désinfecter.

Le jeune homme quitta le perron à contrecœur. Son père n'accepterait pas de lui parler. Pas tout de suite. Nathan espérait que la colère de son père s'apaiserait suffisamment pour pouvoir s'expliquer plus en détails.

Montant dans sa voiture, le jeune homme fit ronfler le moteur et prit la route. Le voyage jusqu'à son appartement ne fut pas aussi long que d'habitude. Il avait tellement de choses à penser que la demi-heure de trajet avait défilée à une vitesse incroyable.

Arrivé devant la porte sécurisée de l'immeuble, Nathan sortit avec soin une clé de sa poche, effrayé à l'idée que le bout de métal ne lui échappe des mains et ne tombe à terre. Il l'enfonça dans la serrure, la tourna et entendit presque avec soulagement le cliquetis familier d'une serrure qui se déverrouille. Il poussa la porte avec le pied. Hors de question de poser ne serait-ce qu'un doigt sur le battant plein de germes. Depuis combien de temps n'avait-elle pas été nettoyée ? Combien de gens l'ouvraient à mains nues tous les jours ? Nathan frissonnait de dégoût rien que d'y penser.

Une fois dans le hall de l'immeuble, il se dirigea vers les escaliers, fuyant l'ascenseur, trop petit. Si quelqu'un se trouvait à l'intérieur, il ne fait aucun doute qu'ils se frôleraient. Nouveau frisson de dégoût.

Après avoir monté les trois étages à pieds, Nathan entra enfin dans son appartement avec un soulagement palpable. Il laissa échapper un long soupir et, après s'être désinfecté les mains et avoir enfilé des gants, il entreprit de se déshabiller. Gagnant la salle de bain vêtu dans son plus simple appareil, le jeune homme mit tous ses vêtements dans la machine à laver et la mit en route. Tout serait propre dans moins d'une heure. Parfait. Juste le temps de prendre une longue, très longue douche, de faire le ménage dans l'entrée et de manger.

Nathan resta longuement immobile sous le jet d'eau chaude. Les yeux dans le vide, il repensa à tout ce qui s'était passé. A la situation qui avait si rapidement dérapé. La vie était bien injuste parfois. On croit avoir le contrôle de quelque chose, puis un minuscule détail vient tout foutre en l'air.

Injuste et ironique.

Quand il fut propre et sec, Nathan alla dans le salon. Son estomac était tellement noué qu'il ne pouvait rien avalé. Toujours plongé dans sa torpeur, le jeune homme s'installa sur le canapé. Il ramena ses genoux contre son torse et entoura ses jambes de ses bras. Le menton posé sur les genoux, il demeura immobile.

Une larme coula sur sa joue.

Puis une autre.

Et encore une autre.

Il n'avait jamais pleuré de sa vie. Même quand il avait appris la mort de sa mère. Ou celle de son grand-père. Il n'avait pas pleuré une seule fois, même quand on se foutait de lui au collège et au lycée à cause de ses TOC.

Mais là, son père, le dernier membre de sa famille, qui le repoussait comme un malpropre, comme un monstre, c'était trop. Plus qu'il ne pouvait en supporter.

Nathan ne sut pas combien de temps il dans cette position à sangloter. Mais quand il parvint à se calmer, il sentit un petit poids sur ses épaules s'alléger. Un tout petit.

Il alla dans la cuisine, brillante de propreté, sentant plus les produits d'entretien que la quiche qu'il avait cuisinée ce midi, et se servit un grand verre d'eau. Pleurer lui avait asséché la gorge.

De retour sur le canapé, Nathan observa la ville s'illuminer silencieusement. Il n'était que six heures du soir et pourtant, le ciel était d'un noir d'encre. Pour une fois, cette obscurité précoce n'était pas si désagréable. Elle donnait l'impression d'être dans un cocon. Que le temps était suspendu. Que rien ne s'était passé.

Le jeune homme se demanda vaguement s'il ne devait pas se plonger dans son travail à faire pour lundi : après tout, ce serait une solution pour ne pas se remémorer sans cesse les yeux coléreux de son père, ses traits creusés par le dégoût, sa bouche lui hurlant des injures horribles et blessantes.

Nathan hésitait encore quand quelqu'un sonna. Grognant, il se leva et marcha pieds nus jusqu'à l'interphone. On était samedi soir, mais personne ne l'attendait nulle part. Alors qui cela pouvait-il être ?

-Oui ? dit-il à l'interphone d'une voix encore rauque par ses pleurs.
-C'est Caleb. Ouvre.

Le jeune homme se figea et se sentit pâlir d'un coup. Il aurait encore préféré se retrouver de nouveau face à son père plutôt qu'en tête à tête avec Caleb. Surtout en ce moment.

-Je ne veux pas te voir, répondit-il sèchement.
-Fais pas le con Nathan ! On doit parler.
-On n'a rien à se dire.
-On a des tas de trucs à se dire, au contraire, rétorqua la voix grave de Caleb.

Nathan sentit la contrariété de son ami mais tint bon.
-Caleb, je ne suis vraiment pas d'humeur. Pas ce soir.
-Juste cinq minutes.
-Nous savons tous les deux que cinq minutes ne suffiront pas. A lundi.
-Nat... !

Nathan coupa l'interphone et retourna sur le canapé, le cœur battant. Il poussa un long, très long soupir, résumant ainsi vaguement la folie qu'il avait vécu ces derniers mois.

Et maintenant ? Que faire ?

Don't Touch MeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant