Le miroir

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Cette clairière est grande et vaste. Je doute qu'on appelle cela une clairière au final. Je me promène sur cette herbe froide encore tapissée de quelques feuilles mortes, mouillées. Nous sommes à la fin de l'automne, et l'hiver arrive. Il arrive à pas de loup, discrètement. Aussi doucement qu'il le peut pour ne pas réveiller les animaux qui se sont endormis pour hiverner. L'orage d'automne, lui, n'est pas discret. Les éclairs tombent dans un fracas assourdissant. La pluie tambourine sur mon ciré jaune, j'aime bien cet endroit. Je ne sais pas s'il m'aime lui, ni même s'il a conscience de ma présence. J'aimerais bien qu'un jour il décide de me parler concrètement. Quand je lui envoie des messages ils me répond, mais les siens sont froids, sans prise pour s'y accrocher et continuer la conversation. J'arrive enfin devant lui, du moins là où il est d'habitude.

Une sorte de porte se dresse devant moi. Enfin, la porte n'est pas là à proprement parler. Seulement le contour, un contour très stylisé d'un noir magnifique. Au début je croyais qu'elle était faite de métal, mais en m'approchant une peu je vis que c'était végétal. Une plante semblable à aucune autre avait poussé. Tel du lierre s'accrochant à un mur, cette plante pousse sur l'air ou sur les dimensions. Cette porte, on y voit à travers, pourtant sa surface est lisse et solide. Les gouttes de pluie s'arrêtent et coulent sur elle. Comme si une caméra filmait ce qui se trouve derrière et qu'un vidéo projetait l'image sur ce miroir. Je l'appelle ainsi. La plante noir ne reflète pas la lumière mais quand il vient, le trompe l'œil s'efface et la partie supposée transparente devient une plaque réfléchissant parfaitement les images.

Un vent plus puissant que ceux qui soufflent habituellement se soulève. Je vois une feuille morte, trempée s'envoler et passer à hauteur des yeux dans les gouttes glacées qui tombent devant la plante pareille à nulle autre. Une fois qu'elle fut passée il était là. Dans le miroir. Cela va faire plus d'un mois que je viens lui parler de temps en temps. J'ai comme l'impression que ces derniers temps il s'ouvre de plus en plus à moi. Il me dévoile des choses plus facilement. Je ne cherche pas forcément à connaître toute sa vie privée. Il est devant moi. Son apparence étrange cache une tout autre chose, ses yeux blancs vides de vie ne transmettent aucune émotion et ses cernes et ses cheveux longs en bataille montrent un travail acharné pour ou contre je ne sais quoi, mais il ne doit pas énormément dormir, ou dormir mal. Je ne sais pas si ses yeux peuvent voir, mais j'ai l'impression qu'il n'a pas besoin de me voir, il essaye de déduire ma vie en fonction de ce que je lui raconte. Et il y arrive rarement, voir presque jamais. Il flotte dans les airs, il n'a pas de pied ni de jambes ou ne semble pas en avoir du moins. Cela lui donne un aspect fantomatique. Un vrai photogramme de film : Un miroir étrange dans lequel semble vivre un fantôme fatigué et acharné dans une immense clairière où des éclairs déchirent le ciel sous un orage d'automne.

Les éclairs résonnent dans mes tympans. Je prends une feuille et un crayon, je lui écris un message que je colle contre le miroir. J'essaye tant bien que mal de l'abriter de la pluie. Il s'approche et le lit. Sur la surface de la plaque, des lettres apparaissent en guise de réponse. Je sais de lui qu'il écrit, pas mal, il écrit des histoire aussi étranges que lui mais des histoires qui m'ont emporté, qui m'ont donné envie de m'y mettre.

Parfois il m'envoie un message de son propre chef, j'entends par là qu'il ne répond pas à un de mes messages ou à une de mes questions. Comme aujourd'hui.

"Croyez-vous au passé avant la vie ? y a-t-il inscrit sur la surface lisse de la plante.

-Que voulez-vous dire ? lui ai-je répondu.

-Parfois je fais des rêves éveillés. Dans ces rêves je suis moi-même sans certaines parties de ma personnalité. Je rêve que j'ai eu une autre vie, une autre réalité qui n'est pas incompatible avec celle-ci. De ce fait, je me demande si je n'étais pas quelqu'un d'autre avant de rentrer dans ce corps, ainsi, aujourd'hui je serais en fait la fusion de deux personnes à la mentalité presque opposées, un corps habité par deux êtres."

Son raisonnement me laisse... assez perplexe ? Je me demande s'il ne devient pas parano ou si, tout simplement, il ne passe pas une sorte d'adolescence. Je prends une autre feuille et écris :

"Qu'est-ce que cela change ? Ces rêves ont-ils une incidence si importante ça sur le présent ?"

Le vent était toujours présent, quelques gouttes viennent s'écraser sur mon visage. Les odeurs de la montagne me parviennent lentement. Aucun animal ne vient ici, jamais. Je me demande pourquoi. Dans cette minute de plénitude je profite de l'instant. Les vents deviennent de plus en plus froids, et me glacent les oreilles. Les nuages dans le ciel prennent des formes étranges. Il met du temps à répondre. Je me demande s'il réfléchit ou s'il m'écrit un roman. Les lettres commencent à se former sur la plaque. Je lis :

"J'ai l'impression que ma vie est derrière moi. J'ai déjà vécu. Et je ne semble pas vouloir de cette nouvelle vie, c'est comme si on me refusait le repos bien mérité."

Ben voyons. Je ne sais pas vraiment quoi en penser. S'il a vécu une vie avant, il doit bien avoir eu un nom. En parlant de nom, il n'a jamais voulu me dire le sien. Au moins je pourrais enfin le nommer. je lui pose donc la question.

"Et dans cette vie antérieure, quel nom aviez-vous ?"

Le réponse ne se fit pas attendre.

"Randzahroc Lïncolnd"

Petites histoires pour s'endormir...Where stories live. Discover now