Reconnaitre L'Ennemi (Partie II)

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Pesant le pour et le contre un instant, je lançai un œil rapide à l'horloge murale face à moi. J'avais encore quatre longues heures avant minuit. Et même si je mourais d'envie de gagner quelques heures de sommeil, je m'assis en tailleur au centre de la pièce, à même le tapis moelleux.

Prenant une profonde inspiration, je posai le carnet de Nathan sur mes genoux et l'ouvris à la dernière page que j'avais lue. Puis, je m'empressai de reprendre ma lecture :

Une semaine vient de passer. Et toujours pas de changement ! J'ai l'impression de devenir dingue, au milieu de tous ces malades en blouse blanche qui ne font que m'infliger des examens de toutes sortes ! Cela fait des jours que je harcèle les médecins de questions à propos de ce qui est arrivé. J'aimerais tellement comprendre ce qui se passe...

Et plus important encore, j'aimerais revoir les jumeaux. J'ai bien compris que l'abri souterrain offrait l'asile à plusieurs centaines de personnes. Et Emeline Grayson a laissé échapper que la plupart des survivants étaient des adolescents. Une chose est sûre, j'ai un terrible pressentiment.

Haussant les sourcils, je parcourus plusieurs pages des yeux, à travers lesquelles l'auteur ne faisait que répéter la même chose. Exprimant ainsi son désarroi et ses inquiétudes. Cependant, en feuilletant le journal, un passage en particulier attira mon attention.

Enfin ! On vient enfin de me laisser revoir mes amis. Après avoir passé une vingtaine de jours plus barbants les uns que les autres, la vieille chouette est venue me chercher, et m'a fait traverser des dizaines de couloirs avant de me conduire dans une immense salle éclairée par des néons. À ma grande surprise, la pièce ne ressemblait en rien à la chambre dans laquelle je me trouvais. J'aurais presque pu oublier que je me trouvais sous terre. Les murs étaient ordinaires et peints en blanc, non pas plastifiés.

J'avoue avoir été choqué en découvrant des centaines de personnes d'âges variés installées à de longues tables rectangulaires. En embrassant la salle du regard, j'ai vite remarqué que les gens de mon âge dominaient néanmoins, les plus jeunes devaient avoir douze ans tout au plus, les plus âgés étaient des trentenaires.

D'une pression de la main, Emeline m'a invitée à avancer. Je me suis alors exécuté sous les regards scrutateurs, curieux – voire inquiets – des autres.

― Où sommes-nous ? ai-je demandé à Emeline.

Cette dernière s'est contentée d'un petit rire amusé, avant de répondre :

― Tes amis sont installés à la table du fond, va les rejoindre. Vous avez tous été amenés ici afin de découvrir la vérité...

Le cœur battant à tout rompre, j'ai pressé le pas en direction du fond de la salle, me retenant pratiquement de courir. Je m'étais fait un sang d'encre pour Erika et Lucas. Ces derniers étaient mes amis d'enfance. Nous étions le genre de trio qu'il était impossible de séparer.

Cela avait toujours été ainsi. Nathan Stiles et les jumeaux Taylor, unis en toutes circonstances.

― Les jumeaux Taylor, répétai-je à voix basse, les yeux exorbités.

Les mains soudain moites, je laissai le carnet glisser à terre. Il n'y avait aucun doute à avoir. Trop peu de générations s'étaient succédé pour qu'il puisse y avoir une quelconque confusion. Je descendais assurément d'Erika ou de Lucas. La question était désormais de savoir ce qu'avaient été les jumeaux... Décidant de passer la partie des retrouvailles, je feuilletai encore quelques pages, avant de tomber sur une feuille encore plus abimée que les autres, et qui n'appartenait pas au journal, mais qui avait simplement été agrafée de manière maladroite. Plissant les yeux, je m'efforçai d'en déchiffrer le contenu.

Retranscription du discours d'Emeline Grayson, 11-01-2031.

Mes chers amis, je ne saurais exprimer ma joie de me trouver aujourd'hui face à vous. Vous qui êtes la promesse de demain. La preuve qu'une nouvelle génération plus performante est à venir. Je dois avouer que durant la douzaine d'années qui a précédé ce jour, et qui a été consacrée à l'élaboration du plus grand projet jamais connu de l'humanité, mes confrères et moi n'avons eu de cesse d'attendre ce jour. Cela n'a pas toujours été facile, mais nous n'avons jamais perdu espoir. Le fait est que désormais, nous avons finalement atteint notre but commun.

Je sais que la plupart d'entre vous se demandent comment un aussi grand nombre de personnes a pu survivre à une explosion nucléaire aussi destructrice. Mais en réalité, mes chers amis, l'explosion n'était qu'une couverture à quelque chose de plus grand : le lancement du Virus A20N, élaboré pour la première fois douze ans plus tôt par des scientifiques du monde entier. Un projet qui a demandé bon nombre d'efforts et de sacrifices, puisque des abris souterrains à l'instar de celui-ci ont été prévus dans chaque pays du monde avant et pendant la Guerre.

La vérité est que vous êtes spéciaux... le fait d'avoir survécu au Virus fera bientôt de vous des êtres hors-normes et exceptionnels. Je ne peux vous en dire plus pour l'instant, ce serait beaucoup trop tôt. Mais en attendant, sachez que vous n'avez rien à craindre. Nos médecins feront le nécessaire pour vous permettre de commencer votre merveilleux chemin vers la grandeur ! Aussi, si l'un de vous ressent quoi que ce soit d'inhabituel, qu'il n'hésite pas à le signaler auprès du corps médical.

J'interrompis brutalement ma lecture, le cerveau en ébullition. Kian devait absolument lire cela. Nous avions en notre possession une véritable mine d'informations concernant les origines mêmes de l'Aptitude. Même si ce que je venais de lire contenait encore plusieurs zones d'ombre, je ne doutais pas que les choses s'éclaircissent au fur et à mesure. Mais je me sentais incapable de percer ce genre de mystère seule ni de faire voler en éclats tant de certitudes après avoir vécu une journée si dure. Aussi, je me levai d'un bond avant de soulever le tapis, à la recherche de la latte de plancher amovible que j'avais découvert par inadvertance en marchant dessus.

Une fois le journal soigneusement dissimulé, je me dirigeai d'un pas vif vers la porte de ma chambre, avant de quitter la pièce. Par chance, je trouvai le couloir désert. Je courus presque jusqu'au grand escalier avant de dévaler les marches à toute vitesse.

― Kylie ? s'exclama Mélanie en me remarquant dans le hall principal. Qu'est-ce que tu fais là ? Est-ce que tout va bien ? On dirait que tu as vu un fantôme...

Les mains encore tremblantes, je m'efforçai de reprendre ma respiration. Je n'osais imaginer la mine que je devais avoir.

― Oui, m'empressai-je de la rassurer en esquissant un sourire. Tout va très bien, j'ai juste... euh...

Comme la dame me dévisageait d'un air inquiet, son regard perçant me vrillant, je poussai un profond soupir. Sous le choc, mon réflexe avait été de me précipiter à la recherche de Kian, afin de partager ma découverte avec lui. Mais en me souvenant qu'il devait encore être avec Olivia, et que le moment serait sûrement mal choisi, je me sentis profondément ridicule.

― Laissez tomber, soufflai-je finalement. Cela peut attendre demain matin...

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Where stories live. Discover now