(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.

CHAPITRE 31 : Les Indiscrétions D'Une Inapte.

Deux jours s'étaient écoulés depuis le tremblement de terre qui avait décimé une partie de la Résidence Royale. Nous étions à quarante-huit heures du Bal des Réjouissances, et à dire vrai, je m'étais rarement sentie aussi mal. Ce que j'éprouvais n'était même pas comparable au deuil dans lequel je m'étais enfoncée après la Cueillette de Kat. Cette époque me paraissait si lointaine désormais... j'en venais à regretter la période de ma vie où je n'étais qu'une Inapte de Kalénine employée chez le créateur Daniel Anderon. En réalité, je mentirais en prétendant avoir passé les dernières heures à souffrir dans mon coin. Car pour souffrir, il fallait d'abord être capable de ressentir quelque chose.

Tel était le fond du problème. Le hic, lorsque l'on voit s'abattre sur soi un nombre incalculable de tragédies, c'est que notre esprit finit par se déconnecter. Voilà qui expliquait peut-être l'étrange creux qui me tiraillait la poitrine. Je me sentais tout bonnement vide, comme un escargot qui aurait quitté sa coquille. Je n'étais même pas parvenue à pleurer la mort de ma mère, ou à réfléchir à ce qui avait bien pu arriver à ma sœur disparue.

Le regard torve, je quittai mon lit afin de me diriger vers la fenêtre de ma chambre. Le visage dissimulé derrière le rideau clair, je jetai un œil à la cour principale. Au loin sévissaient encore les ruines du Pavillon des domestiques. La poignée de survivants logeait désormais dans des pièces autrefois abandonnées de la Tour des Gardes, tandis que le grand nombre de morts avaient été enterrés en toute discrétion. Quant aux blessés graves transportés à la clinique du Palais – Aptes et Inaptes confondus –, les médecins semblaient peu optimistes à leur sujet. Je tenais toutes ces informations de Mélanie Anderon, qui était la seule personne dont j'acceptais la compagnie depuis l'avalanche de drames qui s'était installée dans ma vie. À l'instar d'une cinquantaine d'autres, la tante Inapte de Dylan faisait partie des domestiques qui avaient réussi à quitter le Pavillon de justesse. Mais comme je me souvenais encore de sa petite escapade nocturne cette nuit-là, je doutais fortement de la véracité de cette version. Je n'avais pas non plus oublié les soupçons de Devonne au sujet de la dame, mais découvrir l'identité de la Cape Rouge était aujourd'hui le cadet de mes soucis... Non, en vérité, tout était le cadet de mes soucis.

Soudain, je vis Kian émerger dans la cour, accompagné de Thobias DeCalonne. Père et fils semblaient plongés dans une grande conversation dénuée d'animosité. Le roi attrapa bientôt le prince par le coude, et tous deux se dirigèrent vers les ruines du Pavillon d'un pas vif et identique. Je serrai les dents avant de m'éloigner brusquement de la vitre.

Mon tête-à-tête avec Thobias représentait la dernière connexion directe que j'avais eue avec le monde extérieur. J'avais passé les deux derniers jours enfermée entre les quatre murs dans ma chambre, refusant catégoriquement toute visite. Mélanie s'était contentée de passer me voir de temps à autre afin de m'apporter des nouvelles. Je savais que Devonne avait cherché en tout à me voir six fois, et Kian était passé tambouriner à ma porte verrouillée à plusieurs reprises. Inutile de préciser qu'aucun d'eux n'avait obtenu de réponse de ma part.

J'avais néanmoins appris que l'influence du futur roi à la Cour s'était considérablement accrue depuis le séisme provoqué par Evan. Thobias semblait accorder plus de crédit au jugement de son fils lors des réunions du Conseil. Et je n'arrivais pas à déterminer si cette attitude était sincère, ou s'il s'agissait d'un stratagème visant à éloigner Kian de moi. Car les paroles du roi échouaient à disparaitre de ma mémoire. Vous ne pourrez plus compter sur mon fils...

En revanche, la stabilité que venait d'acquérir Kian DeCalonne au sein du Conseil n'avait en rien entaché l'ascension politique d'Olivia Némirovsky. Cette dernière était de plus en plus admirée par les membres de la Cour, consultée par les Nobles et choyée par toute personne souhaitant s'attirer les bonnes grâces du futur couple de monarques.