La Montagne Décapitée

By quatseyes

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Un honneur pour l'Empire ? Et qui m'a demandé mon avis, à moi ? Est-ce que c'était mon projet, à moi, d'être... More

Le Cercle de Fer
Prologue
Chapitre 1 - Des regrets et des zardes
Chapitre 2 - Le gynécée
Chapitre 3 - La règle du triangle d'or
Chapitre 4 - Les Appelées
Chapitre 5 - Un beau mariage
Chapitre 6 - Le parfum
Chapitre 7 - Les chambres vides
Chapitre 8 - Sous les feux de l'Empire
Chapitre 9 - Dans la nuit
Chapitre 10 - Femme du monde
Chapitre 11 - Les Mascules
Chapitre 12 - Verval
Chapitre 13 - Dipe
Chapitre 14 - Le visage dans l'ombre
Chapitre 15 - Dans le secret des entrailles de Fer
Chapitre 16 - Dans le vin
Chapitre 17 - Les Pouvoirs de la Lune
Chapitre 18 - Corps-à-corps
Chapitre 19 - Quarante-quatre
Chapitre 20 - Dans ma bulle
Chapitre 21 - Par le fer et le feu
Chapitre 22 - Cœur de la nuit
Chapitre 23 - Naître qu'une femme
Chapitre 24 - Prison de chair
Chapitre 25 - De profundis
Chapitre 26 - Les Crocs de Fer
Chapitre 27 - A la lueur des chandelles
Chapitre 28 - Comme la vie vous berce...
Chapitre 29 - Un éclair dans la nuit
Chapitre 30 - Chuter
Chapitre 31 - Tout ce qu'on jette en l'air...
Chapitre 32 - Creuser
Chapitre 33 - Dans le pétrin
Chapitre 34 - A découvert
Chapitre 35 - Tôt ou tard
Chapitre 36 - Le poids d'une couronne
Chapitre 37 - Douce nuit
Chapitre 39 - Cœur de pierre
Chapitre 40 - Dernière gorgée
Chapitre 41 - Le grand saut
Chapitre 42 - Chanson verte et nuit d'encre
Chapitre 43 - Sur le fil
Chapitre 44 - A l'orée
Chapitre 45 - Aube sang et or
Chapitre 46 - Tenir
Chapitre 47 - Sang de Fer
Chapitre 48 - Principe viril
Chapitre 49 - Épicentre
Chapitre 50 - Au-delà du Cercle
Chapitre 51 - Les liens du sang
Chapitre 52 - Bon sang ne saurait mentir
Chapitre 53 - Un pas en avant
Chapitre 54 - Epicentre
Chapitre 55 - Concentriques
Chapitre 56 - L'ombre au coeur
Chapitre 57 - Au cœur de l'ombre
Chapitre 58 - Bouquet final
Bonus - Et si Olympe n'avait pas été Appelée ?
Bonus - Les coulisses du récit

Chapitre 38 - L'Appel du sang

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By quatseyes


— Olympe ? Tout va bien ?

En chemise de nuit, Mamina s'est figée au milieu du salon de notre petite suite, une chandelle dans une main, et de l'autre son pot de chambre. Sur sa couchette, Meth se redresse pour me regarder d'un air inquiet.

— Tu es partie si vite, tout à l'heure, que j'ai craint que tu te sentes mal, mais je n'ai pas voulu te réveiller quand nous sommes rentrées...

Affreusement, gênée, je me sens devenir cramoisie, et je jette un regard en arrière vers ma chambre.

— Je...

Ma vieille nourrice pose ce qui l'encombre et s'approche de moi, me saisissant aux épaules.

— Qu'y a-t-il, Olympe ?

La voix grave et l'œil intense, son imagination est à pied d'œuvre pour deviner ce qui me préoccupe. Et je suis pour l'instant impuissante à trouver les mots. Au bout de secondes interminables, pourtant, je me décide : à quoi bon tourner autour du pot face aux évidences les plus criantes ? Le gaïak est dans ma chambre, et, ma foi, il ne peut retraverser tout l'appartement sans être vu, alors autant affronter la réalité.

Nous n'avons plus le temps pour de stupides pudeurs ou de vaines apparences.

— Mamina... Il faut que... que je t'explique... quelque chose...

Elle me sourit pour m'encourager, frottant doucement mes épaules, et je peine à soutenir son regard.

— Pissenlit... le gaïak...

Elle acquiesce pour que je poursuive, alors je me lance.

Je vais utiliser le passage secret afin de ne pas vous embarrasser, Olympe. Rejoignons-nous là-bas.

Pour une fois, je suis heureuse de l'entendre dans ma tête, et je ne peux contenir un sourire spontané.

— Oui, je vois, rétorque Mamina, amusée. Un jeune mage fringant et fort plaisant à l'œil, je dois bien le reconnaître. Tu as ma bénédiction, Olympe, et je ne doute pas que ton oncle sera lui aussi ravi, si tel est le choix auquel ton cœur te porte.

Je marque un long moment d'hébétude, perplexe, puis le sens de ses paroles se fait jour dans mon esprit, et j'écarquille les yeux en reculant.

— Non ! Je... Non ! Enfin...

Manifestement, mes milliers d'heures de lectures passées sont vaines, puisque tous les mots que je croyais miens se dérobent sous ma langue. Je m'enfonce lamentablement dans des balbutiements pathétiques qui font pétiller les prunelles de ma nourrice. Éperdue, je tourne la tête vers Meth à la recherche d'une diversion salutaire, mais celle-ci me regarde avec attendrissement.

— Vous faites un très joli couple, Mademoiselle.

Dans ma tête, je sens l'expression ironique de Pissenlit, et c'est la goutte de trop.

— Je dois vous laisser.

J'ai craché ça sans timbre, prenant mes jambes à mon cou vers la Grande Salle.

— Olympe ?

La voix impérieuse de Mamina m'arrête la main sur la poignée.

Je me tourne vers elle, au comble du désespoir et de la gêne.

— Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas, Olympe, et tes parents auraient été ravis de savoir que le tien bat ainsi malgré les drames que tu as traversés. N'en rougis pas.

J'acquiesce, incapable de parler, mais rougissant davantage encore sous ce quiproquo dans lequel je me débats. J'esquisse un geste vers la porte, mais ma nourrice me rappelle.

— Olympe ?

Je lui fais face à nouveau, incapable de la regarder dans les yeux.

— Ma chérie, reprend-elle d'une voix plus douce. Si la raison méconnaît celles du cœur, l'œil des courtisans n'est pas si fatigué par les festivités de ce soir, et il m'est avis que te voir en chemise de nuit dans les rues d'Altis à cette heure fera se tordre de joie bien des langues trop bien pendues !

Je baisse les yeux sur moi par réflexe et les ferme de honte. J'ai bien failli me ridiculiser et me déshonorer au-delà de toute mesure ! Dépitée, je veux remercier Mamina de sa présence d'esprit et lui présenter mes excuses pour mon inconvenance, mais elle se met à rire, suivie de Meth, et je ne peux me retenir de les rejoindre dans cet éclat de bonne humeur inattendue.

— Je crois que je vais aller passer une tenue plus décente avant de sortir, finis-je par dire quand je retrouve mon souffle et mon sérieux, la conscience écrasante du roc en chute libre quelque part au-dessus de ma tête revenant me hanter.

Nous échangeons un dernier sourire ému, et je regagne ma chambre.

Lorsque je ressors, les deux femmes m'attendent toujours en discutant joyeusement à voix basse sur la couchette de ma servante, et il m'apparaît soudain qu'elles sont entrées au service de ma famille à peu près en même temps : elles sont sans doute amies — et ce qui se rapproche le plus d'une mère pour moi.

— Mamina, Meth ? les interromps-je.

Elles se tournent vers moi, l'œil luisant de gaieté et la bouche plissée par l'amusement et la complicité.

— Merci à vous deux d'être toujours là pour moi.

La mélancolie passe sur leurs visages, en même temps qu'une émotion puissante monte en moi, poussant une buée piquante dans mes yeux.

— A plus tard, dis-je rapidement avant de m'éclipser.

Appuyée à la porte de nos appartements, je prends un instant pour me ressaisir et chasser les larmes qui brouillent ma vue. Le grand salon est désert, mais des chuchotements traversent parfois les portes des suites pour me parvenir, indistincts mais fébriles.

Nombre de gens étaient en liesse, ce soir, face à la chute du tyran. Pour ma part, ma mémoire accroche au souvenir triste et amer de Berce, cette femme détruite par l'amour pervers qu'elle a nourri toute sa vie pour un monstre qui a ravagé son humanité.

L'amour ? Que voilà une idée désarmante d'absurdité ! S'aimer quand la mort rôde ? Quand le cœur des hommes peut abriter tant de haine ? A quoi bon ?

Je repense à cette pauvre Gone. Le cœur des hommes ? Même celui des femmes semble se rire du bonheur des autres, bouffi d'égoïsme tout autant que celui de leurs mâles prétendants.

Non, je conclus résolument : pas de paix, ni de bonheur, ni d'amour tant que l'armée de Fer du général Marsius est en marche contre le monde.

Dépêchons-nous : chaque minute compte.

Enfin prête, je m'élance avec détermination vers Pissenlit.

Enfin, son antre.

***

— Êtes-vous sûre de vous, Olympe ?

Le gaïak me fixe avec insistance depuis que je suis arrivée.

— Avons-nous d'autres alternatives ?

Ma réponse, invariable, lui fait hocher la tête avec sérieux.

— Alors allons-y, tranche-t-il enfin en me précédant.

Il soulève le rideau, et je me retrouve de nouveau face à face avec lui.

Il est tellement magnifique ! Son regard brille d'une telle sagesse, et en même temps d'une telle sauvagerie mystérieuse que j'en suis de nouveau complètement fascinée, incapable de résister à son attrait, avançant sans y penser vers lui, tendant la main pour caresser son cou comme si toute ma vie depuis ma naissance ne prenait soudain sens que dans ce geste.

Une force me retient soudain, agrippée par l'épaule.

— Résistez, Olympe, ou vous vous perdrez.

La voix de Pissenlit me ramène à moi, et je peux enfin me dérober aux pupilles perçantes du célestiaque des profonds.

— C'est pour ça... que j'ai besoin de vous.

Ma voix revient elle aussi peu à peu à elle-même, s'affermissant au fil des mots.

J'y serais allé moi-même, s'il m'accueillait comme il le fait pour vous. Mais il faut croire que cette jeune oiselle préfère les demoiselles.

Il sourit de son jeu de mots, mais je n'en ai plus le cœur. La peur vient me tenailler les entrailles. Si l'animal m'intrigue au plus haut point, l'expérience m'effraie évidemment, maintenant que j'en connais les risques.

Il opine et place chacune de ses mains sur mes épaules, dans mon dos. Une chaleur irradie de ses doigts et envahit mon corps par vagues. Pleine de cette énergie magique, je me sens vibrante et puissante.

Je plonge dans le regard de l'oiseau.

Mes serres accrochées à la branche morte du creux de la montagne. Les deux Peaux-tendres qui me font face, yeux fermés. Voler. Le vent. La vitesse. Les nuées.

Déplier les ailes et sauter, battre, plonger.

La caverne sombre, puis le plein de l'air noir piqueté de soleils infimes. Et le souffle du monde applaudissant mes plumes, caressant mes rémiges, me portant vers l'infini.

Rattraper le soleil, suivre sa course lente à travers la nuit sans proies.

La nuit n'est pas faite pour voler. Trop dangereuse. Le prédateur se cache derrière l'invisible.

Mais il faut rattraper le soleil.

Battre des ailes, danser sur les courants, fendre la nuit.

Tout là-haut, des oiseaux de lumière planent sans bouger hors de portée de mes serres.

Mais ils ne me menacent pas.

Leurs regards immobiles ne font que veiller sur le monde.

Battre des ailes, devenir le vent.

Plume de nuit, souffle de nuit, nuit de la nuit.

Plus vite.

Les yeux du ciel se ferment quand le soleil revient, derrière moi.

Le soleil est lent, mais personne ne le rattrape.

La nuit se déchire, se dissipe, effrayée par le jour.

Enfin, je projette ma propre nuit au sol, tout en bas, et le soleil la déploie pour moi.

Je suis là haut, puissant, et en bas, déjà sur mes proies.

Manger.

Un tabirsk quitte son terrier.

L'accrocher du regard.

Plonger.

Sifflement des plumes.

La terre qui jaillit.

La vie chaude qui glisse dans ma gorge.

Remonter vers les nues, le ventre chaud.

Voler, voler encore, plus vite que le soleil.

Le soleil si lent que personne ne le rattrape, et qui rattrape toujours le vent.

Battre des ailes.

Un fleuve qui brille, devant.

Sans source, sans embouchure. Un lac qui serpente sans abreuver le chemin.

Une eau froide et sèche qui martèle la poussière de la terre.

Qui fait fuir les proies.

Eau de mort.

Peaux-tendres et plumes de pierre brillantes.

Un lac immense qui se prend pour un fleuve, et qui avance. Coupé de sa source, sans embouchure encore.

Qui n'abreuve pas la terre, mais promet de faire ruisseler le sang.

Des Peaux-froides bondissent sous elle, portant ce flot de mort.

Un autre Peau-froide les rattrape peu à peu.

Pas assez rapide.

Je le dépasse, mon ombre dévorant la sienne pour la recracher dans mon sillage.

Observer l'eau sèche.

Le Peau-froide a plongé dans le lac.

Longtemps, les remous ne troublent pas ce fleuve en marche.

Puis l'écume frissonne, et une mare glacée se détache de ce lac, coulant son flux si froid vers le soleil si chaud.

Laissant derrière elle le chemin sec.

L'eau se sépare.

Le fleuve immense poursuit son cours vers la Grande-Nuit où le soleil se couche, mais la mare retourne vers le Petit-Jour d'où l'astre bondit hors de son lit.

Danger.

Rentrer, vite.

Plus vite que le vent.

Plus vite que la nuit.

Plus vite que le soleil.

Plus vite que la mort.

Battre des ailes.

Être le vent.

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