Chapitre 46 - Tenir

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Dans la plaine de Fer, l'air semble immobile. Tout ce qui vit est soit figé soit caché. Le fleuve de métal s'est arrêté de couler au milieu du désert, et l'acier se masse à l'orée des grands arbres. Le soleil y explose en myriades de reflets sous le ciel dégagé. La poussière soulevée par le galop des zardes est retombée.

Les soldats contemplent en silence la forêt qui hante leurs cauchemars depuis leur plus tendre enfance.

Sylfaënis.

Au cœur de cette étendue guerrière, le pavillon de commandement a déjà été déployé. Le Général Marsius s'y est retiré avec ses officiers. Le reste des troupes patiente, une main sur la garde, l'autre sur l'encolure de leur monture.

Les zardes s'impatient. Les hommes aussi.

Mais un reste de peur continue d'infuser sous chaque armure. Les Sylfaëns ont été de redoutables ennemis par le passé, et les légendes sont innombrables, qui racontent leur férocité, leur efficacité mortelle, leurs pouvoirs terrifiants.

La Garde Noire n'est composée que de combattants d'élite surentraînés et éduqués toute leur vie dans la discipline la plus stricte, mais aucun homme n'oublie l'enfant qu'il a été. Peu importe la force du muscle, la vitesse de l'estocade ou l'épaisseur des hauberts, le cauchemar frappe au cœur de l'esprit en se jouant de la matière. Et son venin insidieux est implacable.

Marsius en a conscience.

Il ne se l'avoue pas, mais être celui qui détruira les Sylfaëns compense à peine l'effroi qu'il ressent au plus profond de lui-même à être celui qui leur déclare la guerre. Il ne doit pas laisser la résolution des soldats faiblir.

Pas plus que la sienne.

— Garde Noire ! clame-t-il sèchement face aux officiers qui entourent la carte de la grande forêt de l'Ouest. A l'heure où nous parlons, l'Empire est en danger. Notre Empereur a été assassiné par ces lâches de Mascules. Le bataillon envoyé à Altis doit s'être rendu maître de la capitale et avoir passé par le fer la plupart de ces traîtres de l'ombre, mais le Trône est plus fragilisé que jamais. Partout, ce que notre peuple compte de petits nobles va vouloir comploter. Partout, les dissensions vont éclore, et notre Empire en sortira disloqué. Seule la Garde Noire peut maintenir notre intégrité et sauver notre héritage. Aujourd'hui, nous allons mettre un terme à cette menace que représentent ces sauvages. Ces arbres nous reviennent, tout comme le Sud. Le plan n'a pas changé : nous allons revenir à Altis avec les têtes de ces monstres au bout de nos piques, et les rivières charrieront le bois dont nous bâtirons notre flotte de guerre avant de reprendre ce qui nous appartient de droit ! Garde Noire, aujourd'hui commence notre retour au pays !

L'accueil de ce discours enthousiaste est modéré. Marsius toise les gradés l'un après l'autre, chacun baissant le regard face aux prunelles glacées de leur supérieur. Quand il a fini, il défouraille et tend son épée bien haut sous les tentures du pavillon.

— Pour l'Empire, le Sang et le Fer.

Sa voix est grave, posée.

Tous se redressent, main au pommeau, visage droit.

— Pour l'Empire, le Sang et le Fer ! crie-t-il, cette fois-ci.

Les officiers reprennent en chœur la formule rituelle, trois fois, de plus en plus fort, puis ils emboîtent le pas à Marsius.

Rengainant son arme, le Général de la Garde Noire quitte la tente de commandement et se hisse sur une charrette pour être visible de tous. Activant son amulette d'oration, il s'adresse aux milliers de guerriers qui attendent ses ordres en silence.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant