Chapitre 5 - Un beau mariage

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— Veuillez nous laisser, je vous prie. Mademoiselle vous rejoindra dans le grand salon, la Salle aux cent portes.

Je lance un regard suppliant à Mamina, qui se force visiblement à me sourire.

— Nous vous attendons à côté. Tout va bien se passer.

Ses lèvres familières sur mon front me font du bien, mais le caractère extraordinaire de cette familiarité depuis longtemps reléguée dans les nostalgiques souvenirs de mon enfance ravive mon angoisse. Meth et Gone m'encouragent d'un mouvement de tête et d'un pauvre sourire malheureux, puis elles suivent ma nourrice.

Je fixe la porte qui se ferme, puis je me frotte les yeux pour en chasser la brûlure qui ne les quitte plus depuis un moment.

Il ne s'agit que d'une robe.

Les bruits produits par l'agitation de Sandra derrière moi m'incitent à me retourner pour faire face.

— S'il vous plaît ? m'entends-je l'appeler.

Elle s'arrête de fouiller les penderies pour passer la tête sur le côté et me regarder. Son visage est neutre, immobile, attentif. Son regard est si terne...

— Est-ce que vous pouvez... ?

Je ne parviens pas à formuler ce qui me déchire. La lèvre tremblante, j'espère de toutes mes forces qu'elle va me comprendre sans que j'aie à le dire. C'est tellement gênant...

Soudain, son visage est transfiguré : elle me sourit, se redresse et s'approche de moi de sa démarche si étudiée qu'elle me paraît surnaturelle.

Je me crispe.

Elle lève une main, caresse ma joue en me regardant dans les yeux.

— Ne t'inquiète pas. Nous allons te gagner un peu de temps.

Sur son visage bienveillant, je lis distinctement qu'elle veut m'aider, mais je ne comprends pas du tout ce qu'elle veut dire. Ni si elle m'a comprise.

Elle passe délicatement ses doigts dans mes cheveux puis se détourne, retournant à ses recherches.

J'attends.

La pièce est grande, plus que ma chambre, mais elle ne comporte aucune fenêtre. L'unique porte est celle par laquelle je suis arrivée, et seul un bureau occupe un angle dégagé près de l'entrée. Et partout des dizaines de portants encombrés de tenues bariolées pressées les unes contre les autres. Il doit y avoir des milliers de robes.

J'ai une pensée pour Cassandra et Circe, qui adoreraient venir se perdre dans ce trésor de tissus, et je tâche de mémoriser le plus de détails possible pour leur en faire le récit précis.

Enfin, Sandra revient, les bras chargés de vêtements.

— Enfile ça, m'ordonne-t-elle en me tendant un paquet d'étoffe vert clair.

Quoi ? Ici ? Comme ça ? Je cherche un paravent, un rideau qui n'existent pas, tournant sur moi-même en quête d'une échappatoire.

Elle éclate d'un rire cristallin qui réchauffe instantanément l'endroit.

— On est encore pudique, à ce que je vois ! Allez, viens te glisser entre deux portants.

Elle m'invite à la suivre, et je m'exécute, à moitié soulagée.

— Est-ce que vous pouvez vous... retourner ?

Ma voix n'est qu'un filet timide : cette femme me met mal à l'aise, et l'idée de me déshabiller devant elle me gêne. Elle hausse les yeux en riant et se retourne, m'offrant par conséquent une vue imprenable sur des pans entiers de son dos découvert par les ouvertures de sa robe, ainsi que sur la naissance de sa fesse droite, sur laquelle s'anime le dessin d'une fleur rouge où s'accroche une chenille verte. C'est un tatouage pareil à ceux que j'ai parfois vus sur les bras musculeux de certains gardes, mais celui-ci est comme vivant : la fleur oscille doucement dans un vent invisible, et le petit animal se contracte, gonfle, puis s'immobilise.

La Montagne DécapitéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant